Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
STAYER FRANCE  :  100 % demi-fond et derny - depuis 2005 au service du demi-fond et du derny

STAYER FRANCE : 100 % demi-fond et derny - depuis 2005 au service du demi-fond et du derny

STAYER FRANCE ex-STAYER FR est le blog du demi-fond et de l'association FRANCE DEMI-FOND. adresse mèl : fddf@dbmail.com page Facebook : @VANWOORDEN21

Publié le par Oscar de Ramassage
Publié dans : #SUR LA ROUTE DES GEANTS BORDEAUX-PARIS
 HARRY ELKES DE BOSTON A GLENS FALLS DE GLENS FALLS A BOSTON

 

 

 

Pour évoquer la trajectoire d’Harry Elkes, je vais devoir prendre des précautions, car si je me laissais aller, j’ouvrirai alors toutes grandes les vannes du mélo. Car mélodrame il y a, et du plus larmoyant. 

Ça commence par : il était  « jeune, beau, riche et célèbre »... Numéro 1 mondial lorsqu'un jeune loup rongé d’ambitions  le fait tomber de son piédestal… Il avait décidé d’arrêter la compétition afin de  se marier et d’embrasser une carrière prospère … Mais avant d’emprunter cette voie royale, il va remettre à sa place le trublion, et se retirer au sommet de sa gloire…  Trop beau, trop « cliché », vous dites-vous ?

Et pourtant, il y aura même le grain de sable de la tragédie imbécile, celle  qui va pulvériser en éclats  la trop belle histoire. Vous croyez que j’ai un peu forcé le trait, que les ficelles sont  bien trop grosses ? 

Dans une série américaine avec un scénario puéril à la Rocky, à la rigueur, vous consentiriez à y croire, mais dans la « vraie vie », « on vous ne la ferait pas », n’est-ce pas ? Hélas, je vais bien être obligé de  « vous la faire », car le mélodrame est là, tangible, exact, réglé comme une mécanique infernale.

Alors, préparons nos mouchoirs, et célébrons la mémoire d’un des plus grands champions qui ait jamais hanté les vélodromes, l’Américain Harry Elkes.

En cette année 1903, notre homme est, à vingt-cinq ans, au zénith de sa trajectoire. Personne,  parmi les aficionados du cyclisme d’Outre-Atlantique n’ignore sa décision d’arrêter le cyclisme au terme de la présente saison pour se marier avec sa camarade d’enfance et se lancer dans une existence nouvelle.  De même, personne ne peut ignorer que depuis un an, un bouledogue blond aux manières de chasseur de primes est venu l’évincer de sa place de meilleur coureur de demi-fond des Etats-Unis. Lui, le Yankee bon teint, aurait pu alors se retirer comme il en avait formé le projet : sa fortune était faite, et ses projets de vie arrêtés. Au fond, qu’est-ce que peut bien peser l’irruption d’un nouveau venu ambitieux dans un sport que l’on est sur le point de quitter pour réaliser sa vie ?  

 

Harry D. Elkes  a été le premier super-champion cycliste américain dans les épreuves de fond et de demi-fond de la fin du dix-neuvième et du début du vingtième siècle. Son aura, il la partage alors avec une autre légende de la piste, Major Taylor, son alter-ego sprinteur, dans cet espace de temps magique [impensable de nos jours aux « States »], où un champion cycliste touchait cinq fois plus de dollars qu’un champion de base-ball.

Le cyclisme sur piste, sport-roi au pays du dollar, qui pourrait encore le croire de nos jours ?

Pourtant, aux vélodromes de Manhattan Beach à New-York, Charles River à Boston et Vailsburg à Newark, on refuse en ces temps-là du monde, et lorsque de gros engins pétaradants remplaceront, à l’aube du vingtième siècle, les entraîneurs humains, ce sera une véritable ruée vers les vélodromes, et le temps d'un bref « âge d’or » pour le demi-fond.

 

Harry D. Elkes  est né à Port Henry, dans l’état de New-York, le 28 Février 1878. Il reçoit son premier vélo dès Mars 1893, et sous la tutelle du paternel, lui-même ancien athlète, il va se faire les dents, qui seront celles de son pédalier,  en montant et descendant vingt fois par jour la colline de Green Street dans sa bonne ville de Glens Falls. Surnommé « Lanky », il débute en compétition à Saratoga, et y termine second.

Dès 1894, derrière la triplette conduite par J.S Johnson, Murphy et Callahan il couvre à Syracuse le mile en 2’ 7’’ : c'est là son 

entrée dans le cercle des coureurs américains de valeur. Très vite, écumant la région, il va voler de victoires en victoires, et imposer sa marque de fabrique : creuser à chaque fois des écarts impressionnants sur ses adversaires. 

En 1896, il devient coureur professionnel : il a dix-huit ans. Bien vite, ce bel athlète de 5 pieds, onze pouces et 130 pounds se fait un nom et une réputation chez les rémunérés. Il accumule les dollars au fil de ses exploits à un point tel qu’au bout d’une seule saison chez les pros,  ses émoluments  dépassent paraît-il ceux du paternel, qui est pourtant un homme d’affaires bien loin d’être un traine-misère.

 En 1898, c’est le grand champion français Lucien Lesna qui,  en connaisseur, subjugué par l’abattage de notre homme, lui conseille de s’inscrire à la Charles River Bike Race à Boston.

Boston. Premier rendez-vous avec son destin.  Là-bas, il pulvérisera tous les records jusqu’aux 25 miles, battant deux « as » du temps, le Gallois Tom Linton et le Français Edouard Taylor, « Le Gosse Rouge », dont le destin sera tragique, lui aussi. Et par un effet malin, les chemins d’Harry Elkes et d’Edouard Taylor, alors le meilleur stayer européen du moment,  se croiseront à plusieurs reprises, comme pour prendre date... 

Dans la foulée, le champion américain défera un à un  tous les challengers qui lui seront présentés, avant de battre, le 6 Août 1898, derrière ses tandems à pétrole, sur la piste de  Philadelphie – Willow Grove en Pensylvanie, un record du monde de l’heure qui sera la première marque (55.631 km) du genre. Ce faisant, il dépasse celle  réalisée par le Français… Edouard Taylor. Le destin, toujours, n’est jamais loin lorsque l'on évoque la trajectoire des deux hommes. 

Dans le sillage de la quadruplette à pétrole du Français Henry Fournier, ici devant Harry Elkes


 

Premier recordman de l’heure yankee, sa réputation dépasse désormais le cadre du continent américain, au point qu’il  va avoir le culot de défier, par voie de presse, tel que l’on se plait à faire de ce côté de la Mare aux Harengs,  les "cracks" du fond et du demi-fond européens, les Huret, les Cordang, les Rivière. Ce dernier d'ailleurs, de retour des Etats-Unis,  fait part à la presse française de la révélation qu'il a eu là-bas : "J'ai vu un coureur extraordinaire ! Si cet homme-là est soigné et entraîné, il fera quelque chose ! "

 

Invité en Europe, il ne va pas y faire de quartiers, et défaire,  les uns après les autres, les meilleurs champions de demi-fond du vieux continent : le Gallois Linton, les Français Taylor (en fait Britannique résidant en France) et Bouhours, l’Allemand Robl, l’Anglais Walters, futur vainqueur du Bol d’Or.

De retour en Amérique en 1899, tout en étrillant sur la piste de Philadelphie ses adversaires Pierce et Walters, il bat le record des 50 Miles en 1h 24’ 31’’3/5.  Le paternel, William A. « Pop » Elkes est alors assez sûr de la valeur de son fils pour lancer un défi à 5 000 dollars (soit environ 100 000 $ actuels), à qui voudra le relever, sur toute longue distance.

 

Durant deux années, les victoires vont s’accumuler pour ce coureur au style élégant et à la souplesse d’allure quasi-féline. Les  records vont également s’enchaîner, déclinés sur toute la gamme des miles.

 

Les saisons 1900 et 1901 seront celles du plein temps de sa gloire, et la  ville de Glens Falls ne manquera pas de célébrer son héros, en lui offrant une réception monstre, à laquelle assisteront un millier de personnes !

 

Posons-nous un instant pour y faire une petite photo de famille : Harry est entouré ce jour-là de sa sœur Mary, de son entraîneur d’oncle, son homonyme Harry, de son manager W.F. Saunders et de ses père et mère William « Pop » et Martha.  

 

Il est clair qu’à vingt-et-un ans, Harry Elkes a fait oublier le merveilleux « Mighty Midget » Jimmy Michael, jusqu’ici tyran de la spécialité. Il est désormais le roi d’une discipline-reine, qui draine des foules énormes et des revenus du même tonneau pour ses acteurs.

 

Le quotidien Chicago Tribune, subjugué par cet athlète d’ 1 m77 sous la toise (pas mal pour l’époque) et 60 kilos sur la bascule n’hésite pas à titrer :  « Harry Elkes : a physical marvel ».

 

Bientôt,  « Lanky » Harry  va ajouter à son prestige déjà énorme en remportant en Décembre 1900 la fabuleuse édition des six-jours de New-York (60 000 spectateurs, excusez du peu !) avec dans le rôle du méchant et pour compagnon de ban son compatriote  Floyd Mac Farland. Harry évoque aussi l’aide d’un hypnotiseur, qui, paraît-il, lui aura permis  de surmonter les affres de l’épreuve, et d’en sortir « frais comme un gardon ». Mac Farland, le dur à cuire, la terreur des pistes, rend hommage à Harry Elkes en reconnaissant humblement : « Sans Harry, je n’aurai pas été au bout ! » 

Aux Six Jours de New-York, "frais comme un gardon"

1900 est également l’année où il aura honoré la France d’une première visite, pour y défaire notamment notre champion du moment... ... Edouard Taylor, alors un des seuls challengers capable de parler d’égal à égal avec le maître.

 

Edouard Taylor, toujours.

 

 

Champion des U.S.A. de demi-fond, en 1900 puis en 1901, la domination d'Harry Elkes est reconnue par ses pairs et célébrée par  une presse en extase.

 

« Le Petit Prodige » Jimmy Michael, revenu aux affaires le temps d’une ruineuse escapade dans le monde hippique, est bien forcé d’en convenir lui-même  : « le meilleur, c’est maintenant Harry Elkes » déclare t-il. Le légendaire entraîneur Marius Thé n'hésite pas à proclamer : " Le meilleur qu'il ait jamais vu sur une piste, sur toutes les distances de un à cent miles". Plus tard, Lucien Petit-Breton, recordman de l’heure et double vainqueur du Tour de France, ne dira pas autre chose : « Harry Elkes est l’homme qui m’a le plus frappé, et je l’ai toujours considéré comme le meilleur ».

 

Nous sommes au terme de la saison 1901. Harry « Lanky » (ce que l’on peut traduire par « grand escogriffe ») Elkes n’a pas de rival à sa mesure aux Etats-Unis, et personne en Europe ne peut prétendre le « challenger ». Harry Elkes est le « roi du  demi-fond » - sur bicyclette Cleveland - publicité oblige... 

 

Une ombre au tableau pourtant : si la presse ne manque pas de célébrer le champion d’exception, elle  relève aussi hélas chez lui une inquiétante tendance à   la « guigne ». Pour preuve ses  nombreuses chutes, dont celle du 5 septembre 1900 au Madison Square Garden, où il frise la catastrophe. Un peu plus tard, Harry confiera lucidement à un journaliste : « Le jeu est devenu dangereux avec l’apparition des grosses motos… Les opportunités de s’en sortir un jour vivant s’amenuisent… »  

 

Comme pour donner raison aux oiseaux de mauvais augure, en 1902, il est à deux doigts de laisser sa vie sur le ciment de la piste du Parc des Princes, dans une chute tête la première à 70 km/h, suite à la rupture de la roue de sa moto d’entraînement. Le 19 Octobre, sur cette même piste, il  bat tout de même sans discussion Jimmy Michael et Henri Contenet.

 

Les défaites qu'il enregistrera en Europe lors de cette nouvelle tournée européenne ne renvoient, en l’absence de réglementation cohérente, qu’aux abris monstrueux utilisés par ses adversaires, roulant derrière des coupe-vents larges comme des camping-cars ou des tandems aussi massifs que des tenders de locomotives. 

 

Mais ces avatars mis à part,  Harry reste-t-il le maître ? Non. Car tout au long de cette saison, il a eu maille à partir avec un adversaire redoutable, Américain comme lui, mais son exact opposé. Si Harry a tout du « Yankee » classieux et distingué, qui  n’hésite pas à s’afficher en redingote et haut de forme à reflets, son blond rival est plutôt du genre rural-rugueux-regard d'acier. Il  vient du Sud, d’Atlanta, et a pour nom Robert Walthour. Et il ne va pas tarder à régner sans partage sur le demi-fond mondial.

 

Harry va d’abord faire toucher cinq fois de rang les épaules de son adversaire. Mais l’obstiné champion sudiste va prendre inexorablement la main au cours de la saison, au point de le défaire six fois de suite de la même façon. Harry Elkes a trouvé sur les vélodromes américains un champion à sa mesure, à l’évidence.  Il se murmure même que son départ pour la France pourrait bien avoir pour raison ce nouveau rival qui vient de mettre sa suprématie en péril. Cette saison 1902 s’achèvera donc sur cet implacable constat : Robert « Bobby » Walthour, l’étoile montante du derrière moto, lui a bel et bien ravi le titre de champion des Etats-Unis. 

 

Walthour, le crack d'Atlanta

1903 devra être pour Harry Elkes l’année du retour aux affaires pour une fin programmée : le 4 Juillet 1903 verra la fin de sa brève carrière dans la profession de stayer. Ainsi en a décidé notre homme, résolu à entreprendre des études nécessaires à l’exercice du métier de médecin, et à convoler en juste noces avec Edith Garett, elle-même fille de médecin. Il juge qu’il a accumulé maintenant assez d’argent pour financer les études auxquelles il aspire.  Mais avant de se lancer dans cette nouvelle existence, pourquoi ne pas mettre  à la raison le « bouledogue » Walthour ?

 

Il courra donc tout l’été, et se retirera le jour du national Labour Day. Ce jour-là, le titre de champion des Etats-Unis sera revenu – qui sait ? -  dans son escarcelle. En tous cas, il aura à tout le moins fait mordre la poussière à son rival, et quitté le cyclisme au zénith de sa gloire.

 

Un avenir radieux s’offrira alors à lui : il a déjà fait fortune. Son père est un brasseur d’affaires renommé, et sa belle-famille, prévoyante, s’est occupée de l’avenir professionnel de notre futur retraité des pistes. Au mois de Juillet, il devra déménager pour Chelsea dans le Massachussets, afin de  commencer son apprentissage de la médecine. 

 

Sa saison 1903 débute avec les six-jours de New-York, où il est annoncé à l’affiche pour des matches contre Jimmy Michael. Puis, il s’en va préparer sa saison en Virginie, dans ce Sud cher à son rival Walthour. Là-bas, il remporte quatre courses. Mais à Atlanta, il bute encore sur ce satané Walthour, intraitable dans son vélodrome-fief. Au cours de trois manches épiques, disputées sur cinq miles, Harry Elkes va pourtant marquer durablement les esprits au pays de Dixie. En parfait  gentleman, il arrêtera sa course lorsque Walthour chutera au terme d’une culbute fantastique survenue à soixante-dix kilomètres à l'heure,  suite à l’ éclatement de son pneu arrière… En traversant la pelouse  pour aller s’enquérir de l’état de son rival, puis en le relevant avant de faire signe au public stupéfait d’angoisse que son champion est bien « O.K », le Yankee honni met le public sudiste "dans sa poche". Sonné, crispé de douleur,   Walthour-le-brutal reprendra pourtant la course, pour l’achever en vainqueur,  sous une ovation monstre, dans laquelle le gentleman-coureur Elkes aura bonne part. Une « revanche » sur  dix miles, disputée peu de temps après sur la même piste du Piedmont Coliseum, délivrera le même verdict, impitoyable : 1er Walthour. 2ème Elkes. La main est-elle définitivement passée ?

 

Peut-être, mais Harry entend bien mettre les comptes à jours une fois passée la ligne Mason-Dixon. C’est pourquoi il a coché tout spécialement dans son agenda la course de Charles River, à Cambridge, Massachussets,  qui sera un temps fort, celui qui marquera le début de la saison des courses du championnat, la plus prestigieuse. Ce sera celle qui verra sa revanche. Et pour ne rien gâcher, les prix distribués au vainqueur, dans la perspective de son imminent mariage, arrondiront son pactole déjà bien rondelet.

 

Ce samedi 30 Mai 1903, Harry Elkes a donc rendez-vous avec son irréductible rival, en même temps qu’avec son destin. Il  est là, tout près de lui sur la ligne de départ, le  champion des Etats-Unis d’Amérique en titre, ce jeune loup aux dents longues et aux yeux translucides de tueur à gages, bardé de confiance suite à ses triomphes récents à Atlanta. Quelques jours avant la course, comme pour mieux se défier, Elkes et Walthour ont battu à tour de rôle les records du mile sur cette même piste Charles River, en 1’ 13’’. Mais ici, à Cambridge, presque "at home", Harry se moque pas mal de ces chronos de matamore. Il ne craint pas plus Walthour que Jimmy Moran et William C. Stinson, ses autres adversaires, avec qui il aura aussi à en découdre. Il entend bien frapper fort, très fort, et « marquer son territoire » de façon  indiscutable à l’occasion de cette course du Memorial Day, sur cette piste fraîchement restructurée pour l’évènement. Quatorze-mille spectateurs n’entendent pas en perdre une miette.

 

Ce samedi, la météo est clémente. La journée est belle ? Elle sera apocalyptique ! Le départ de la course de 20 miles est donné, dans le tumulte des monstrueuses motos d’entraînement, et les clameurs excitées d’un public chauffé à blanc. Harry Elkes a choisi dès le départ l’épreuve de force. Il déroule les tours de piste à un train proprement hallucinant. Moran et Stinson sont vite dévorés puis éparpillés,  et doivent se demander le pourquoi de cette folie furieuse. Quant à Walthour... Mais où est-il, Walthour ? Eh bien, il a bien cherché à soutenir le train de son impétueux rival, mais il s'est vite retrouvé k.o. debout, comme les autres !

 

Impuissant à ne serait-ce que contenir la « furia » féroce du New-Yorkais, il n'a pas tardé pas à décoller du sillage de la moto de son cher « Gussie » Lawson. Et les tours de retard de s’accumuler pour le champion d'Atlanta ! Devant lui, loin devant Harry Elkes "déroule" sur une autre planète, celle d’un orgueil monstrueux et magnifique !

 

Les records mondiaux des cinq, puis des dix, et enfin des quinze miles sont battus ! La course est folle, irraisonnable, irréelle. « Lanky »  est comme enragé ! Le numéro un, c’est bien lui, oui ou non ? Son avance sur ses rivaux est maintenant inexpugnable. Pourtant, il ne semble pas en avoir assez : il hurle à son entraîneur, l’Allemand Fritz Hoffman : « Speed up ! Speed up ! »

 

Le coureur yankee, à cinq miles de l’arrivée, a trois tours d’avance sur « Bobby » Walthour. Stinson et Moran sont eux à des tours-lumière ! La foule est en transe, son champion a bien mis à la raison l'impudent Sudiste… " L'imbattable Walthour " est atomisé.

 

Pourquoi alors, au seizième miles, Elkes hurle t-il une nouvelle fois à Hoffmann d’accélérer ? On tourne pourtant à 83 km/h, pourquoi, Bon Dieu ? Hoffmann se retourne, et lui répond que ça va bien assez vite comme cela, et que…  Soudain un claquement terrible, comme un coup de fouet, retentit : c’est la chaîne de la bicyclette d’Harry qui vient de céder, avec un bruit de claquement mat. Hoffmann  voit son coureur zizaguer un temps  sur la piste avant de disparaitre de son champ de vision. Quand le pacemaker allemand aura accompli le plein tour de la piste, il n’en croira pas ses yeux…

 

Car pendant le bref laps de temps où il aura échappé à son regard, Harry est descendu en roue libre vers le bas de la piste, en direction de ses accotements. Mais  sa chaîne s'est emmêlée dans les rayons de la roue arrière, à la bloquer net, le projetant hors de son engin et le plaçant sur la trajectoire de la moto de Franck Gateley, l’entraîneur de Stinson, qui déboule à près  de 80 à l’heure !

 

L'énorme moto de 40 cv percute le  champion New-Yorkais. L’affreux bruit sourd de ce choc résonnera longtemps en échos aux oreilles de  spectateurs interdits et horrifiés.

Elkes, Gateley, Stinson gisent désormais parmi les débris entremêlés des vélos et moto, pétrole et sang mêlés… Les corps flasques des protagonistes sont déposés au centre de la piste. Harry Elkes gît, sans connaissance, la tête horriblement écrasée. L'on demande dans la foule après la présence d'un docteur, pendant que des spectateurs pleins de bonne volonté aident au transport des corps en attendant l’arrivée de l’ambulance  qui emmènera le grand champion vers le Massachusetts General Hospital.

Harry Elkes décèdera pendant ce dernier voyage, sans jamais avoir repris connaissance. Le corps du merveilleux champion sera convoyé par train jusqu’à Glens Falls, sa ville. William « Pop », brisé par le chagrin, n’a pas eu la force de faire le chemin jusqu’à Boston.

 

Harry Elkes a  été enterré dans le cimetière de Glens Falls à Bay Street, et un monument sera érigé pour célébrer sa mémoire. Une réunion organisée sur la sinistre piste du Charles River Park, là même où s'était déroulé quelques mois auparavant ce que la presse avait nommé "Le baptême du sang" a permis de dégager un bénéfice de huit cents dollars, qui contribua à l'érection de ce monument. Sur ce dernier, une roue ailée, le symbole de son club, le  Old Boston, a été gravée, avec la mention : « champion du monde cycliste. 1878-1903- Erigé à sa mémoire par ses admirateurs de Boston et New York » 

 

 

Un des plus grands champions cycliste de tous les temps est mort. 

 

Quelques mois plus tard, le 24 Septembre 1903 s’éteint, au terme d’une maladie foudroyante, Edouard Taylor, « Le Gosse Rouge », un de nos plus beaux champions, multi-recordman de l’heure derrière entraîneur, champion de France de demi-fond. 

Deux lumières se sont éteintes au firmament du sport cycliste. Le destin a eu son compte de chair fraîche en cette sombre année 1903… et le sport cycliste a perdu deux merveilleux champions.  

 

Epilogue : après cet évènement tragique, le port du casque deviendra obligatoire pour les stayers aux Etats-Unis, et  les motos de grosse cylindrée interdites.

 

Indubitablement, la mort du champion américain marquera un tournant, en même temps que le point de départ de l'inexorable décadence du demi-fond aux Etats-Unis. 

 

 

Patrick POLICE-   Mis en ligne le 16 Mai 2016 pour STAYER FR  à l'occasion du 113ème anniversaire de la mort d'Harry Elkes

Remis en ligne pour STAYER FRANCE le 26 Mai  2020

Mis à jour le 14 Octobre 2022 

 

Sources : 

  • site internet Glens Falls people and placeCity of Glens Falls, Warren County Historical Society, 6 Days Racing
  • La Vie au Grand AirArchives Chicago TribuneL'Aurore, La Presse, Le Petit Parisien, L'Auto, La Justice, Le Matin, Le Rappel, Gil Blas, Le Vélo; Le Monde Sportif; The American Register
  • Livres : " The Little Black Bottle " de Gerry Moore,    " Life in the Slipstream " d'Andrew M. Homan, 
  • contributions Jacques Arquennes, membre du Blog et  François Bonnin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Harry D. Elkes - Né à Port Henry (N.Y) le 28 Février 1878

Décédé le 30 Mai 1903 à Boston (Mass.)

Palmarès (complété au fur et à mesure de mes recherches et de vos contributions) 

 

 1897

  • 8-13 Février, Pittsburgh : 6 Jours individuels  (1er) (ne figure pas dans le classement suivant site 6 daysracing.ca)
  • .. .. .., Boston : 6 Jours individuels  (3è)
  • 6-11 Décembre, New York : 6 Jours individuels (10è)

 

1898 

  • .. .. Février : victoire aux 3 Jours de Pittsburgh (2 127.450 km) devant Waller, Schinneeer, Hall et Walters
  • .. .. Août, Philadelphie : premier record du Monde de l’heure derrière tandems à pétrole – (55 .831 km  premier américain détenteur du record)

 

1899 

  • .. .. Janvier, New-York, Madison Square Garden : bat Waller sur 50 miles en 1 h 50' 46"
  • vendredi 13 Janvier, New-York, Madison Square Garden :  bat  Mac Duffee dans course 25 miles
  • .. .. Janvier, New-York Madison Square Garden : bat  Baby Gibson course-handicap 10 miles
  • .. .. Janvier, New-York Madison Square Garden : bat  Waller course-handicap 50 Miles
  • .. .. Août, Philadelphie : bat  Tom Linton sur course 25 miles
  • .. .. Septembre, Philadelphie : bat  Pierce et Walters et record du Monde des 50 miles en 1 h 24" 3/5
  • .. .. Septembre, Buffalo : bat  Miller sur course d'une heure
  • .. .. Décembre, New-York Madison Square Garden : bat Edouard Taylor dans course de l'heure

 

 1900

  • Jeudi 8 Février : arrivée en France en compagnie de son père et du coureur Arthur E. Ross à l'occasion de  l'Exposition Universelle de Paris 
  • Dimanche 13 Mai, Paris, Parc des Princes  : bat    Edouard Taylor   dans match sur une heure avec 250m d'avance
  • Dimanche 20 Mai, Anvers : 2ème (chute) battu par Edouard Taylor
  • Dimanche 17 Juin, Turin :  bat  Edouard Taylor   
  • Dimanche 24 Juin, Paris, Parc des Princes  : Grand Prix du Conseil Général de Paris (2ème de la course (entraîné par tandem),  derrière Alphonse Baugé (F) entraîné par tricycle), tous les autres concurrents entraînés par tricycle
  • Vendredi 1er Juillet, Berlin : 3 victoires sur quatre courses 10 & 20 km devant Dickentmann, Robl, Koecher et Taylor
  • .. .. Juillet, Paris, Parc des Princes : bat  Dickentman , Robl et Walthour sur 50 km 
  • Dimanche 29 Juillet, Anvers :bat  Taylor, Burger et Simar dans course de l'heure
  • Vendredi 10 Août, Manhattan : bat  Mac Farland sur courses 1 et  3 miles
  • Vendredi 21 Septembre, Newport : bat  Nelson sur course 1 h
  • Mercredi 25 Septembre, Boston : bat  Walthour et Michael
  • .. 27 Octobre, Brockton : Record du Monde des 20 miles en 29'33"
  • Mercredi 7 Novembre : accident à l'entraînement suite à la crevaison d'un pneumatique de son tandem d'entraînement
  • Jeudi 8 Novembre, Brockton : 3 miles départ arrêté
  • Lundi 10/ Samedi 15 Décembre : New-York Madison Square Garden : vainqueur des 6 Jours avec Mac Farland 

Champion des Etats-Unis de demi-fond

 1901

  • .. .. ..., Boston (fin de saison) (2ème derrière Jimmy Michael), Boston(fin de saison)  (bat  Walthour et Michael),
  •  Washington (3ème)
  • .. .. Manhattan (fin de saison) : bat  Jimmy Michael
  • .. .. Janvier, Boston : bat  Arthur E. Ross
  • .. 10 Avril, Jacksonville - Panama Park : Record du Monde des 10 Miles en 16'28"1/5: vainqueur du 1 mile scratch et du 10 miles avec Handicap 2 miles
  • .. 23 Mai, Washington : battu par Moran
  • .. 30 Mai, Revere Beach : chute après crevaison lors de la course de 25 miles contre James Moran et Harry Caldwell
  • Vendredi 5 Juillet : Vailsburg : 1h derrière entraineur : 58.460 km devant Mc Earchen, Pierce, Linton et Hoydt
  • Samedi 20 Juillet, New-York, Manhattan Beach : bat  Michael et Nelson dans course 40 miles
  • Vendredi 26 Juillet, Springfield : bat  Jimmy Michael dans course 25 miles
  • Samedi 27 Juillet, Cambridge : bat  Albert Champion et Jimmy Moran dans course 50 miles
  • Mercredi 31 Juillet, Glens Falls : bat Bennie Munroe (AUS) en deux manches sur 25 miles
  • Vendredi 9 Août, New-York, Ashbury Park : bat   Jimmy Urquardt sur 25 miles en 40'1"3/5
  • Samedi  10 Août, New-York, Manhattan Beach : bat Mac Farland en manches sur 1 et 3 miles
  • Jeudi 15 Août, Buffalo : bat  Ray Duer et Edouard Taylor dans championnat de l'Heure
  • Lundi 19 Août : quatrième de la course remportée par Jimmy Michael
  • Samedi  7  Septembre, New-York, Madison Square Garden : bat Albert Champion (FRA) sur 20 miles
  • Dimanche 15 Septembre :Boston -1 heure derrière entr. - battu par Bobby Walthour
  • Lundi 16 Septembre : New-York - Madison Square Garden - battu sur 15 miles par Jimmy Michael
  • Mercredi 25 Septembre  : Boston - bat Walthour sur 5 miles 8'8"3/5; battu par Walthour dans la seconde manche en 8'10"3/5
  • Mercredi 2 Octobre, Providence : bat Robert Walthour (USA) sur 25 miles (course interrompue par la pluie)

Champion des Etats-Unis de demi-fond

 

1902

  • .. 4 Mai : Paris, Parc des Princes : 2ème derrière Tom Linton
  • Vendredi 16 Mai : départ de la France vers l'Amérique. Sa tournée française a été marquée par la malchance : chute à l'entraînement, défaillance de ses tandems d'entraînement.
  • .. .. Juin, Charles River Park, Cambridge :  bat Stinson dans course 25 miles
  • .. 14 Juin, Boston, Charles Rivers Park : bat Walthour (à 9 t), Butler et Mac Connelle et tous les records nationaux du 5 au 35 miles
  • .. .. Juillet, Revere Beach : bat Albert Champion dans poursuite 25 Miles en 37'9"1/5
  • Jeudi 10 Juillet, New-York, battu par Walthour dans match 20 miles ( panne moteur)
  • .. 23 Juillet, Washington : bat Albert  Champion
  • Jeudi 31 Juillet, Providence : bat  Hugh Mac Lean dans course 25 miles
  • Vendredi 1er Août, Boston : chute lors de la course des 25 miles contre Walthour et Otto Maya
  • .. .. ..., Pittsburgh : 3ème derrière Walthour et Otto Maya
  • .. .. Revere : second derrière Walthour de la course de 25 miles
  • ... .. ..., Boston  : 2ème  dans course 25 miles
  • .. ..  Août, Worcester : 3ème derrière Walthour et Maya
  • 3 au 20 Octobre, Paris, Parc des Princes : bat  Michael, Contenet, Ryser, Jacquelin dans course 80 km  
  • Samedi 1er Novembre, Paris, Parc des Princes : chute lors d'un entraînement
  • Vendredi 7 Novembre, Paris, Parc des Princes : chute dans course des 50 km
  • Record du Monde du Mile 

 1903

  • Avril, ..., 4 victoires
  • Jeudi 14 Mai, Piemont Coliseum Atlanta : battu par Robert Walthour dans course 10 miles
  • Samedi 30 Mai, Cambridge - Charles River Park : records du Monde des 5, 10 et 15 miles (6'20"1/5,12'30"3/5et 18'40")   pendant la course où il trouva la mort 

 

Sources : 

  • site internet Glens Falls people and placeCity of Glens Falls, Warren County Historical Society, 6 Days Racing
  • La Vie au Grand AirArchives Chicago TribuneL'Aurore, La Presse, Le Petit Parisien, L'Auto, La Justice, Le Matin, Le Rappel, Gil Blas, Le Vélo
  • Livres : " The Little Black Bottle " de Gerry Moore,    " Life in the Slipstream " d'Andrew M. Homan, 
  • contributions Jacques Arquennes, membre du Blog et  François Bonnin
Commenter cet article
M
Des articles toujours complet et détaillés et qui aident à comprendre d'où on vient et pourquoi nous en sommes là dans le sport...Grâce à nos anciens et nos pionniers. C'est bon cette culture...!
Répondre