SERGE AUBEY :
" Touche-à-tout " de la piste, demi-fond compris
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Je me rappelle les paroles de Michel Scob :
" La goutte de transpiration doit aller sur le dos de la veste de l'entraîneur "
Il y a des associations qui marquent durablement les esprits, allez savoir pourquoi… Question de musique des mots probablement.
Broccardo / Guimbretière par exemple, comment que ça sonnait ! Et Godeau / Senfftleben, Wambst / Lacquehay, Post / Pfenninger, Koblet / Van Buren (je cite dans le désordre) avouez que ça vous construit une mythologie à défier le temps.
Aussi, quand est arrivée en même temps que les années soixante-dix l'équipe Mourioux / Van Lancker, qui marquait le retour des paires françaises dans la ronde internationale des 6 Jours, avouez que, comme moi, vous vous êtes laissé prendre à croire à un nouveau revival de la piste en France. D'autant que peu de temps après déboulait sur les lattes une nouvelle paire de pistiers talentueux Aubey / Cluzaud.
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On allait pouvoir arrêter de convoquer la nostalgie lorsque l'on causait piste croyait-on alors… En allant dénicher pour STAYER FRANCE Serge Aubey, ce sont ces années soixante-dix si prometteuses pour les aficionados de la piste que nous allons évoquer…
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" Ce jour d' Octobre 1979 j'ai décidé de me débarrasser de tout ce qui me rattachait au cyclisme. J'étais arrivé au bout du chemin, mon épouse en avait assez de s'inquiéter pour ma santé compte tenu de certaines pratiques en cours alors dans les Six-Jours, et une ultime déception avait précipité ma décision… "
" J'avais seulement 26 ans et j'étais déjà un ex-pro, qui finalement n'avait jamais pu donner l'exacte mesure de son talent lors de son unique saison à l'échelon supérieur, et je venais de perdre mon dernier coup de poker… "
On rembobine...
" Mes idoles de l'époque s'appellent Post, Bugdhal, Sercu, Kemper, Morelon, Trentin, leurs posters tapissent ma chambre. Nous sommes en 1967 et, à l'instigation de mon père Désiré - lui-même licencié à l' Etoile Sportive Caennaise - je revêt le maillot blanc cerclé vert et noir du club. Dès l'année suivante, je fréquente assidument la piste de Venoix, où je remporte mon premier titre de champion de Normandie de vitesse chez les cadets. La presse locale me surnomme bien vite " Le jeune sprinter de Luc-sur-Mer "
" Jusqu'en 1970, je vais faire parler mon sprint dans tous les vélodromes de Normandie, de Caen à Equeurdreville, de Cherbourg au Havre, d'Alençon à Agneaux. Cette année-là, quand je sors de ma Normandie, c'est pour terminer sur la piste de Lorient troisième du Premier Pas Dunlop. Un an plus tard, dans la même épreuve, mais cette fois à Roubaix, je monterai d'un cran, en terminant juste derrière Alain Patritti. C'est à cette époque que je décide de descendre à Paris pour me mesurer aux "as" du sprint, les Morelon, Trentin, Pontet et consorts… "
" Avec le Kilomètre Rustines, remporté à la Cipale en 1972 devant Patrick Pecchio et mon record de France du kilomètre lancé au Havre la même année, je commence à attirer l'attention au niveau national.
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Mais je vais me rendre compte que si je veux continuer à me faire plaisir sur la piste, j'ai tout intérêt à ne pas trop insister en vitesse, et à me diversifier. Et comme je suis un jeune homme pressé, je devance l'appel du service militaire et rejoins en Octobre les rangs du Bataillon de Joinville et mes camarades de promotion Pinsello, Colinelli, Grandsire. C'est durant cette période aux armées que je ferai la connaissance d'un certain Patrick Cluzaud... "
" A cette époque, je commence déjà à avoir la réputation toute d'un "touche-à-tout de la piste", butinant de kilomètre lancé en poursuites et de poursuites olympiques en américaines. Le service militaire achevé, je rejoins l'A.C.B.B. Nous sommes en 1973, et je vais remporter sur la piste de Montauban mon premier titre national en poursuite olympique, avec mes camarades Pinsello, Bocquet et Rabin."
" L'année suivante, je cumule au printemps les "top 10" à Paris-Ezy, au Grand Prix de la Boucherie et à Paris-Barentin. Mais toujours curieux de diversifier ma pratique, je vais me lancer dans le demi-fond ! "
" Au début, je n'étais pas forcément candidat. C'est Jean Court qui, dans le cadre de la relance du demi-fond (déjà !) m'a prêté un vélo de stayer et m'a incité à pratiquer la discipline. Quelques tours de piste à La Cipale derrière Alain Maréchal concluant la séance en me déclarant "Tu seras champion de France", une seule course (Critérium d'Europe à Francfort) en guise de préparation, et je me pare sur le défunt vélodrome de Reims d'un second paletot tricolore !
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Tout ça sans forcer mon talent, je dois le reconnaître, car c'est Alain Maréchal qui avait "fait" la course. Las, "Toto" Gérardin, le sélectionneur, n'apprécie pas du tout mon éclectisme, et je me retrouve privé de championnat du Monde… "
" En poursuite individuelle, un autre maillot tricolore aurait pu être envisageable si je n'avais pas buté en demi-finale sur un certain… Bernard Hinault. Mais je me console avec un nouveau titre de champion de France en poursuite olympique, que je partage avec Cluzaud, Pinsello et Colinelli. "
"Le jeune sprinter de Luc-sur-Mer" est devenu "le touche-à-tout de la piste", et ce surnom ne me déplaît pas, car il correspondait tout à fait à ce que je voulais être à l'époque. Aujourd'hui, avec le recul, je ne suis pas loin de penser que j'aurais dû me spécialiser. Ecouter par exemple un Michel Scob, toujours de très bon conseil… Si j'avais eu de pareils coaches, je me serais peut-être moins dispersé à l'époque… "
" Poursuiteur, sprinteur, stayer donc. Mais ma spécialité d'excellence a toujours été la course à l'américaine. Et il se trouve qu'avec Patrick Cluzaud, en cette année 1974, on brûle un peu les planches sur les pistes européennes… Victoires aux Six Jours de Zürich et Rotterdam, des places d'honneur sur les vélodromes allemands en veux-tu en voilà !
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Alors, Patrick et moi décidons de passer professionnels à la fin de la saison, bien que n'ayant aucun contrat avec une quelconque équipe ! Toutefois, par l'entremise de Daniel Dousset et sur la recommandation d'Alain Van Lancker, les portes du circuit des 6 Jours professionnels vont nous être ouvertes. Côté route, fin 1974, je dispute ma première course chez les pros au Critérium de Bagneux, où déjà je fais parler ma pointe de vitesse en terminant troisième, derrière Danguillaume et Poulidor. Le lendemain de cette course, je bats Guimard sur la piste de La Cipale. Ca partait fort ! "
" A cette époque, je cours plus en Allemagne sur les vélodromes – où je commence à me faire une réputation - qu'en France. Mais je rêve de briller aussi sur la route… Toujours mon côté "touche-à-tout" je suppose... Mais il va falloir que j'attende la fin du Tour de France pour qu'enfin une place se libère à l'été 1975 dans l'équipe GAN MERCIER, dirigée par Louis Caput. Sur les routes du Tour du Limousin, un maillot vert porté quelques étapes durant et une sixième place au général final m'autorisent alors à me croire bien parti dans la profession.
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Mais la fin de saison sur route est déjà achevée à peine commencée, et il me faut retourner lustrer les lattes des vélodromes européens ! Et lors des Six Jours de Francfort, je chute stupidement et me fracture la cheville. A l'hôpital de la ville où je vais rester 80 jours, le chirurgien m'annonce : " Pour vous, le vélo, c'est fini ! Là-bas, Je subis deux opérations, et je déprime sérieusement, même si "Didi" Thurau vient très souvent prendre de mes nouvelles. A mon retour à Caen je repasse une dernière fois sur le billard. Au prix d'un travail de forçat, je vais arriver à redevenir opérationnel dès le printemps 1976, au point de figurer dans le "top 10" de Paris-Vimoutiers, remporté par Bernard Hinault. J'embraie alors sur Bordeaux-Paris. J'ai juste vingt-trois ans et dans le sillage de Claude Larcher – qui me sera tellement reconnaissant d'avoir eu le courage de terminer - je vais souffrir mille morts. Bronchiteux la veille, je ne fais que me traîner jusqu'à Tours.
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Là, je me requinque un peu, jusqu'aux côtes de la Vallée de Chevreuse, où je vais vivre un calvaire. Je finis détruit, absolument incapable de marcher. Pris de vomissements, je m'effondre dans les douches. Je ne suis pas loin de penser que ce jour-là, je me suis un peu "grillé". "
" Côté piste, Louis Caput n'était pas chaud pour que je pratique le demi-fond. La vitesse, par contre, il n'avait rien contre. Et heureusement, car un quatrième titre de champion de France, cette fois en vitesse professionnel, remporté à La Cipale de Vincennes va sauver ma saison. Je suis sélectionné pour les championnats du Monde à Monteroni, mais sort en repêchage, battu par l'Australien O'Hara. Et à la fin de cette année 1976, l'horizon va se couvrir… Adieu l'équipe GAN MERCIER, qui change de nom et ne peut me conserver dans ses effectifs. A vingt-trois ans, me voici chômeur. Je suis sauvé in-extrémis par l'équipe U.N.C.P. animée par Michel Nédelec et Claude Larcher. "
" Je vais m'engager pour les championnats de France qui se disputent à Besançon. Préparation minimale : une course à Caen Venoix – j'y reviendrai plus loin - plus une réunion sur la piste de Senlis avec mon camarade Jean-Jacques Fussien. Je m'engage sur deux fronts : la vitesse et le demi-fond. Je remporte ce qui sera mon dernier titre de champion de France de vitesse professionnel. Pour la course au titre des stayers, derrière un bon pacemaker comme Jo Goutorbe, j'ai toutes mes chances. Pourtant, dès que je suis sur le vélo, je sens que j'ai les "pattes dures", et que je n'avance pas. Et ça au point d'abandonner – ce qui m'arrive pour la première fois – dès la première partie de la course. Je ne comprends pas ce qui m'arrive… Mais en mettant le vélo sur l'épaule pour sortir du vélodrome, je vais m'apercevoir que ma roue avant était comme freinée, littéralement "collée" à . Etrange… Avec Goutorbe on a même pensé à un possible sabotage… Bon, le maillot tricolore acquis en vitesse a fait passer la déception, et j'ai vite tourné la page, mais tout de même… De toutes manières, il était écrit que cette année 1977 allait mal se terminer pour moi et ce sont les Six-Jours de Londres qui vont marquer la fin de la paire Aubey / Cluzaud. Notre belle association s'est désagrégée à ce moment-là... Et c'est pour moi la fin de l'aventure chez les professionnels. "
" J'ai vingt-quatre ans et j'ai le sentiment de ne pas avoir eu vraiment le temps de prouver ma valeur. Mais comme la passion de la compétition m'habite toujours, je reprends une licence Senior A ex-pro au C.M.A. d'Aubervilliers pour les saisons 1978 et 1979. "
" A la fin de l'année 1979, les championnats de France professionnels sur piste sont organisés à Grenoble. J'y vois l'occasion d'un retour gagnant chez les pros. Mon seul adversaire valable, le champion sortant Yves Daniel, est, j'en ai la conviction, "à ma main". Et je reprends du coup une licence "pro" : je veux me décrocher un dernier maillot de champion de France ! Las, ils ne sont pas organisés au dernier moment, faute de concurrents. Pour moi, c'est le clap de fin. La déception est trop forte. Je vends tout, je brûle mes maillots, déchire mes licences. Il est temps pour moi de rentrer dans "la vraie vie". "
" Aujourd'hui divorcé, père de trois filles et heureux grand-père de cinq petit-enfants, je me suis offert un beau course Orbea, et ai rejoint les rangs du club de Verberie, où j'ai retrouvé Jean-Claude Giusiano, ancien première caté quand j'étais à l'A.C.B.B. "
" Au total, j'ai disputé plus d'une vingtaine de courses de demi-fond, vingt-quatre exactement durant ma carrière. La dernière année, j'en ai fait trois, dont une qui restera dans ma mémoire : le vendredi 10 Juin 1977, sur "ma" piste de Caen Venoix, je remportais en effet les trois manches de la nocturne de demi-fond, en guise d'enterrement de ma vie de garçon. Le lendemain matin, je me rendais à l'église de Luc-sur-Mer pour m'y marier. Tu me demandes un bon souvenir de stayer, celui-ci en est un ! "
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" Le demi-fond m'a fait vivre des moments inoubliables. Bien sûr, il y a mon titre ce champion de France. Mais ce que je retiens aussi, c'est l'ambiance fantastique des vélodromes de Berlin, Dortmund, Rotterdam. Musique, fumée et bière mêlés, Kemper et sa perruque, nos courses derrière motos au milieu des chasses de 6 Jours. Même si on était un peu dépassés sur la piste avec les Peffgen Stam ou Kemper, après eux on pouvait toujours jouer sa carte. En 1975, à Rotterdam justement, je récupère le contrat de De Loof forfait pour disputer la revanche des championnats d'Europe. Derrière l'entraîneur suisse Lugginbuhl – une montagne – je vais vivre une de mes plus belles courses , à chatouiller les pédales, et pour une fois pas trop loin des "poids lourds" hollandais et allemands. Grand moment de plénitude sportive. "
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" Quand tu me demandes si j'ai connu des moments de souffrance en demi-fond, je suis bien forcé de te répondre par la négative. J'étais un petit gabarit – genre Stam – et je trouvais très bien l'abri. Peut-être aussi à cause de mon bagage de pistard. J'ai plus souffert dans les cols ou dans les bordures sur la route, dans les Het Volk ou Tour de Belgique. Sur la route, tu souffres une journée, sur une course de demi-fond, au pire tu en baves une heure... Et puis si tu es bien avec ton entraîneur, tu gères, tu modules ton rythme. Par contre, les erreurs se paient cash en demi-fond… "
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Serge AUBEY
Né le 20 Avril 1953 à Luc-sur-Mer
330 victoires sur la piste et la route
1967 – 1973 : E.S. Caennaise
1973-1974 (31/08) : A.C.B.B.
1974 (1/09) – 1975 (30/04) : Individuel pro
1975 (1/03) – 1975 (1/07) : GAN Mercier
1976 : GAN Mercier
1977 : FFC
1978-1979 : C.M.A. Aubervilliers
Interview réalisé par Patrick Police pour STAYER FRANCE
Merci à Serge pour sa collaboration
Remerciement à J-M Letailleur