FRÉDÉRİC VİCHOT
L'ABRİ COMME A.D.N.
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En retrouvant Frédéric Vichot dans son pimpant magasin Culture-Vélo de Noidans-les Vesoul (publicité gratuite), j'étais bien résolu à n'évoquer avec lui que ses incursions fulgurantes dans le demi-fond.
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A l'issue de notre rendez-vous, je peux considérer avoir réussi ce challenge. Mais Bon D… que ça a été dur, tant chaque parole de l'ancien double vainqueur d'étapes du Tour de France valait d'être couchée sur le papier… Tant pis pour vous, je ne les partagerai pas donc, sinon, il m'aurait fallu noircir une vingtaine de pages, et nous nous serions alors égarés loin, très loin du demi-fond…
Nous n'évoquerons donc pas ici ses talents de six dayman, étalonnés sur les pistes d'Europe.
Pas davantage ses victoires d'étape au Tour de l'Avenir, à la Vuelta,
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au Tour de France, ceci précisé pour ceux qui auraient besoin de situer la valeur de celui qui fut l'un des meilleurs routiers français de sa génération.
Non. Fidèle à ma feuille de route, il n'a été question lors de notre entretien que du cyclisme entraîné et ses mystères. Et là, pardon, j'ai eu affaire à un homme de l'art, une sorte d' "enfant de la balle", comme l'histoire du cyclisme a dû peu en compter. Vous pensez que j'exagère ? Je vous laisse juge sur ce qui va suivre… Même si sa recette pour maîtriser les subtilités et contraintes du cyclisme derrière engins motorisés, je ne peux surtout pas la recommander en cette époque où la moindre prise de risque est vite assimilée à une imprudence, voire pour les plus pusillanimes à un dérangement de l'esprit… Et pour ce faire nous allons partir en voyage dans un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître (air connu)
Première impression : la silhouette du Monsieur est restée inchangée, comme un "copier-coller" d'une photo de Miroir du Cyclisme ou de Vélo Magazine des années 80. Le maître de maison semble avoir conservé son poids de forme de l'époque pro (" Mon poids d'hiver " (!) avoue-t-il (en plaisantant ?) ) Moi j'ai l'impression qu'il ne doit pas faire bon provoquer notre homme pédales aux pieds du côté de La Planche des Belles Filles ou de la région des Mille Lacs. En tous cas, vous voilà prévenus.
De ses débuts en cadet en 1974 jusqu'à ce jour de 1992 où il quittera le peloton des professionnels, Frédéric n'aura connu qu'un seul club, l'U.S. Vesoul.
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Il y aura connu des débuts fulgurants. Deux années cadet, trois en junior et deux en 1ère caté, pendant lesquelles les victoires auront succédées aux victoires.
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Frédéric Vichot : " J'ai toujours été fidèle à l'U.S. Vesoul, où j'ai pris ma licence à mes débuts en Cadets 2ème année en 1974. Je vais passer sept années sous les couleurs bleu et rouge avec bande jaune chez les amateurs, avant de passer chez les pros en 1981 "
" Mon premier titre officiel, je l'ai acquis pas loin d'ici, à Luxeuil les Bains, sur la base aérienne de Luxeuil – Saint-Sauveur, en 1980. A cette époque, j'avais rejoint le Bataillon de Joinville, pour y effectuer ma période militaire. Là, j'ai fait la connaissance d'un grand Monsieur, à qui je tiens à rendre ici hommage, Camille Le Menn. Il connaissait tout du cyclisme, le bougre, et je me suis régalé – et instruit - une année durant à l'écoute de ses conseils toujours judicieux ponctués de fameuses formules à l'emporte-pièce, telle que " Avoir l'aiguille du compteur dans la boîte à gants " (Et non, comme il se dit et s'écrit si stupidement, " Avoir le cœur dans la boîte à gants ", ce qui ne veut absolument rien dire…) "
Dans les années 80, Frédéric Vichot était qualifié par la presse spécialisée comme le meilleur descendeur du peloton.
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J'en avais déduit que c'étaient ces flirts avec la haute vitesse dans les descentes de col qui l'avaient amené un jour à tâter du derrière moto.
Erreur. Son adresse dans le sillage d'un derny, sa faculté innée à rouler "à fleur de rouleau" lors de ses deux "piges" mémorables derrière moto étaient en fait celles d'un véritable "enfant de la balle "…
Frédéric Vichot : " J'avais " la vitesse dans le sang", et ce dès mon plus jeune âge ! Par ailleurs, tous mes amis d'enfance étaient des motards, (l'exemple de Stéfane Peterhansel, la gloire locale ?), et il n'aurait pas fallu grand-chose – si ce n'était l'autorité paternelle – pour qu'un jour je me retrouve à courir sur circuit sur des "gros cubes". Quant à mon aisance derrière les engins motorisés, je pense que je la dois à ces heures innombrables passée à suivre à vélo… une camionnette !... Je vais t'expliquer… "
" Mon père était épicier à Valay, mon village natal. Il faisait des tournées de livraison dans les villages alentours. Pour ce faire, il avait un superbe "Tube" Citroën, allongé. Quand il partait pour ses tournées, le "Tube" était toujours plein à ras la gueule, à la limite de la surcharge, à raser le bitume. Tu me vois venir… Dès mes onze ans, j'avais déjà pris l'habitude de rouler derrière la voiture des parents. Et là, c'est en tournant les jambes sur le 50 x 14, bien calé dans l'abri XXL du " Tube " paternel en tournée, que j'ai acquis cette faculté à saisir l'abri optimum - que ce soit en peloton ou derrière un engin motorisé - et à gérer mieux que quiconque le vent portant. Dans les courses vent dans le dos, j'étais sans doute le plus à l'aise du peloton, et pour cause ! "
" Par ailleurs, bien avant la mode du BMX, la pratique assidue du vélo sans freins m'avait rendu plutôt intrépide. Rien de tel pour cultiver l'adresse, anticiper la prise de courbe des virages, ne jamais stresser au freinage, gérer l'adhérence à ses limites extrêmes… Sur le vélo de route, j'avais un sens du pilotage sûr et dans les descentes de col, j'étais un peu comme un skieur, qui aborde le point de corde le plus tard possible… "
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" Je me suis donc toujours abrité naturellement, que ce soit derrière derny ou derrière moto. En compétition ou à l'entraînement, je n'ai jamais touché le rouleau de la moto de demi-fond : toujours "à fleur', à cinq centimètres au plus ! J'avais le ressenti inné des turbulences, et cette faculté de doubler "vite" l'adversaire sur la piste, en tous cas plus vite que les autres. Accoutumé à l'abri, donc et pas impressionné pour un sou par les vitesses que l'on peut atteindre derrière moto. En rapprochant le rouleau, "taper' un 100 km/h derrière mon pacemaker ne m'effrayait pas, je restais en "totale maîtrise" ".
" Derrière derny, à fortiori, j'ai immédiatement trouvé mes marques. Sur la piste en bois de 166 mètres de Genève, je savais "jouer" au plus près du garde-boue de l'engin. Et quand l'entraîneur local dont le jeu favori consistait à rouler de plus en plus vite jusqu'à faire "sauter" les gars qui tricotaient à perdre haleine dans son sillage leur 52 x 16, voulait me taquiner, il trouvait toujours à qui parler. Un jour, "en vice", j'ai monté une couronne de 14. Ce jour-là, c'est lui qui a dû mettre les pouces… Car un peu plus, il passait par-dessus le virage ! "
STAYER FRANCE : " Le demi-fond, c'est venu comment ? "
Frédéric Vichot : " J'allais rouler tous les mercredis sur la tant regrettée piste de Besançon, animée par Pierre Bordy alias " le Belge"… C'est là que je me suis formé à la pratique de la piste d'abord, à celle du demi-fond ensuite. Il y avait là une véritable école de demi-fond, avec deux motos, des Royal Enfield. Le "Vicomte" Jean de Gribaldy avait fait ce qu'il fallait pour nous ramener quatre motos supplémentaires, des BSA, celles du défunt Parc des Princes.
Si bien qu'une bonne demi-douzaine de stayers, tous des environs, se formaient là en permanence à la pratique du demi-fond ! Du coup, un jour je suis venu grossir le peloton des stayers locaux, pour voir. Et dès que j'ai capté le sillage d'une moto, l'adaptation a été immédiate ! "
" C'est vrai que mon incursion dans le demi-fond a été brève - deux courses seulement disputées - mais j'ai tourné des heures et des heures sur la piste de Besançon derrière la BSA de Michel Buffet, quand mon activité de coureur professionnel le permettait. Jusqu'à ce qu'à cet été 1985, où le Vicomte" de Gribaldy est venu battre le rappel des bonnes volontés pour voler au secours d'un demi-fond (déjà / encore) en souffrance. Et c'est donc à l'occasion de ces championnats de France sur piste professionnels qu'il avait réussi à mettre en place que je vais participer à ma première compétition derrière moto. "
" Pour les stayers, ce sera un championnat sans maillot tricolore hélas. Mais là, sur ce vélodrome Léo Lagrange où j'avais pris mes habitudes, je vais littéralement me "balader", derrière la moto conduite par Michel Buffet, laissant loin derrière par exemple un Yvon Bertin qui avait pourtant déjà une certaine expérience du demi-fond. "
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" Pas un moment je n'ai d'ailleurs douté de ma victoire, et la course s'est déroulée sans problème pour moi.
Lorsque Jean Court ("Monsieur demi-fond" à l'époque) a eu connaissance de la moyenne réalisée (+ de 72 km/h, réalisés en mode "walk-over"), il a été interloqué : "Vous êtes sûrs de la moyenne ? Vous n'avez pas "triché" ? Eh non, on n'avait pas "triché". Dès lors, il savait ce qu'il lui restait à faire, notre ami Jean Court : me sélectionner pour le championnat du Monde. Hélas, je n'étais pas disponible en cette saison 1985, sélectionné que j'étais pour l'épreuve sur route. Mais il a su attendre son heure et l'année suivante… "
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" Zürich Oerlikon… Août 1986. Je sortais du Tour de France, alors les jambes étaient "un peu là", même si je souffrais encore d'une sérieuse blessure récoltée au vélodrome de Madrid, où j'avais été faire la rencontre du… bar de la piste ! Les jambes répondaient "Présent !", mais les reins…
Arrivés à Zürich, on s'est vite mis en piste avec Michel Buffet pour prendre nos marques. Là, j'ai déroulé pleine balle, comme je le faisais si bien à Besançon, en passant les coureurs à l'échauffement éparpillés deux par deux, comme à saute-mouton. Et au bout du canter, j'avais battu le record de la piste, sans me faire mal pour autant ! Pour une prise de contact avec le demi-fond international, c'était réussi ! "
" Tout de suite, une chape de plomb est tombée sur le vélodrome… Il fallait voir la mine des entraîneurs étrangers en bord de piste. Entourage, observateurs, discutaient "façon conspirateur". La cabine téléphonique du vélodrome connaissait une fréquentation inusitée. Bref, on avait fait notre petit effet, et notre ami Jean Court buvait du petit lait… "
" Le lendemain, pour la première manche, nous partions de la dernière position Michel et moi (comme par hasard n.d. Stayer France) Pas la plus facile, mais je m'en moquais comme d'une guigne ! Et dès la prise d'entraîneur effectuée, j'ai gueulé à Michel " Allez, Allez, plus vite !" Et que je te passe les coureurs en injection deux par deux, et à chaque fois sur un coup sec. Panique totale sur la piste ! On se serait cru dans une séquence film du cinéma muet, où tout défilait en accéléré. Je répétais en toute insouciance le show de la veille et mes piges de Besançon ! De toutes façons, c'était "ma marque de fabrique" : 5 km à l'heure de plus au dépassement, je ne savais pas faire autrement ! Imparable. Rester au coude-à-coude des tours entiers pour faire exploser l'adversaire ? Non, merci, pas pour moi. Même si cette année-là, je revenais d'une chute très sévère (hématome au niveau du rocher, compliqué de problèmes dorsaux), "j'avais les watts".
Et puis, après avoir joué "panique sur la piste", le temps s'est mis à se couvrir… Mes adversaires, qui n'étaient pas des perdreaux de l'année, ont alors fait ce qu'il fallait sur la piste pour me calmer, dans les règles de l'art, au besoin en se sacrifiant pour les copains. Et quand ils m'ont bien épuisé, à m'envoyer du vent où à accélérer à mort à chacune de mes tentatives de dépassement, il est arrivé ce qui devait arriver : le moment où j'ai craqué. Mais alors là, j'ai "pété" complet, à racler la ligne noire, à 15 km/h !... La faute à mon inexpérience. "
" Après coup, Michel s'en est voulu, mais c'était bien moi qui l'avait incité à pousser, toujours pousser, alors que lui, habitué jusqu'ici à driver des coureurs moins explosifs, plus "moelleux" aurait préféré me ralentir, jouer plus prudent. Mais j'ai assez gueulé pendant la course pour qu'il pousse encore et encore pour que je ne lui en veuille le moins du monde pour ma fin de course "à la ramasse" "
A la descente de nos machines, nous nous sommes pris une volée de bois vert par Jean Court, qui, en mode courroucé nous a agonit " Mais vous avez fait n'importe quoi !!! " Il ne décolérait pas... Lui si heureux de ma performance de la veille ! Il croyait l'avoir enfin trouvé, l'oiseau rare qu'il cherchait désespérément pour bousculer les stayers étrangers ! "
" Il me manquait, c'est certain, de l'expérience… Bien que question cyclisme entraîné, j'étais loin d'être un néophyte, comme tu as pu le voir. Mais mon activité de routier pro ne me permettait pas de toutes façons d'être davantage stayer. Toutefois, dommage que je n'ai pas fait davantage de demi-fond, c'est un regret… "
" Le plaisir du cyclisme derrière engins motorisés ne m'a jamais quitté. D'ailleurs, à un moment, j'ai fait l'acquisition d'un "Burdin". Gros plaisir à l'entraînement, même maintenant, ça me "botte" toujours autant !
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D'ailleurs, si j'ai un autre regret dans ma carrière, c'est bien de ne pas avoir participé à Bordeaux-Paris. J'étais fait pour cette course. Je n'aurais pas eu besoin de beaucoup travailler pour maîtriser les subtilités de l'abri derrière un Burdin, car j'avais déjà "tout en magasin" ! " Mais la course avait changé de formule, et une course de masse en peloton, non merci…"
" Bordeaux-Paris, c'était derrière Derny ou Burdin que j'aurais voulu le faire, et pas autrement … "
Noidans-les Vesoul - le 21 Juillet 2021
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Reportage Patrick Police
Remerciements à : Frédéric Vichot et Michel Buffet, ainsi qu'à François Bonnin, Dominique Thibaud et François Toscano pour leur aide précieuse.
Patrick Police, pour STAYER FRANCE
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