En cette fin d'été 1936 où la Guerre d'Espagne est venue télescoper la toute proche euphorie du Front Populaire, le championnat du Monde des stayers paraît comme une parenthèse d'insouciance bienvenue.
Les favoris ? Ils sont au nombre de deux.
Un super-favori : l'Allemand Erich Metze, champion du Monde 1934, vainqueur cette saison de 23 des 25 courses qu'il a disputées !
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La puissance du " Taureau de Westphalie" fait des ravages sur toutes les pistes d'Europe. Il ne craint personne derrière une moto sauf peut-être, notre compatriote Charles Lacquehay. Inutile de dire qu'après la saison tonitruante qu'il a accompli, à laquelle s'ajoute la démonstration donnée un mois auparavant sur la piste de Buffalo, où il a éparpillé ceux que justement il aura à affronter pour reconquérir le paletot arc-en-ciel, le sombre Erich tient la corde dans tous les pronostics. Pourtant, il sait parfaitement au fond de lui-même que pour avoir ce maillot, il lui faudra passer sur le cadavre de Lacquehay. Comme une intuition.
L'autre favori, c'est justement notre champion du Monde 1933 et tenant du titre. Après une longue coupure, il a effectué son retour en Mai, victorieusement, sur la piste du Buffalo de Montrouge. Et ce jour-là tout un chacun a pu se convaincre que Lacquehay reste Lacquehay.
Pourtant cette saison 1936 a été grosse de turbulences pour "La Longue Carabine" , privé de championnat de France... C'est qu'il a osé discuter trop âprement, avec ses collègues Paillard et Auguste Wambst, du contenu de son contrat avec la direction du vélodrome du Parc des Princes. Cette dernière, via son bras armé fédéral qui ne saurait rien lui refuser, réussira à avoir la peau de l'agitateur. Certes, à l'approche du championnat du Monde, on s'est rabiboché, mais "l'incident" a laissé des traces chez notre champion, n'en doutez pas.
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Personne, observateurs ou adversaires – en France comme en Allemagne - ne se hasarde à dauber sur son âge – bientôt 39 ans. Car le Monsieur impose toujours respect et crainte dès qu'il apparaît dans un vélodrome.
Sa réputation d'homme d'acier, il l'a d'abord construite sur la route, à tirer des bouts droits sans fin pour les Frères Pélissier, tout en se permettant de gagner dans son "temps libre" un Critérium des As ou un Circuit de Paris. Et lorsqu'à l'approche de la trentaine, il jettera son dévolu sur la piste, ce sera pour y constituer avec Georges Wambst l'à jamais fameuse tornade black and white qui enflammera les vélodromes du nouveau monde et du vieux continent, leur forgeant – à Paris comme à Berlin - une réputation justifiée de terreur des pistes.
Aussi quand il décide à la fin de l'hiver 1929, à se lancer dans le demi-fond, sa réputation l' a t-elle précédé, et les Paillard, Grassin et consorts savent dès lors qu'ils vont devoir s'accrocher aux ridelles. Deux années passées à peaufiner les réglages, et Charles Lacquehay va devenir ce stayer minéral, inexorable, la plus belle machine jamais vue derrière une moto sur la piste depuis le "Pape" de la spécialité, Victor Linart.
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Sa tactique du "crocodile", qui consiste à "pousser" infatigablement sur l'homme de tête jusqu'à le faire "sauter", fait plier les stayers les plus robustes. Faire du "spectacle" ? Donner dans la fantaisie, faire des déclarations fracassantes ? Pas le genre de la maison. Moine-soldat du sport cycliste, on ne peut attendre de lui que du sérieux, du méticuleux, de l'inexorable. Aussi, lorsqu'il acquiert sur la piste du Parc des Princes à l'été 1933 - à trente-cinq ans bien sonnés- son premier titre de champion du Monde des stayers, celui-ci apparaît à tous comme une logique consécration. Et tous les observateurs comprennent ce jour-là que "La Longue Carabine" est parti pour régner sur la spécialité autant de temps qu'il le désirera.
Las, le guet-apens de Leipzig Lindenau l'année suivante, (voir lien ci-dessous) le fait chuter de ce piédestal, un peu trop brutalement à son goût. Ce jour-là Krewer, Prieto et Metze coalisés l'ont un peu pris pour un punching-ball. Et lui le placide, l'affable, le "jamais énervé", le "stayer désespérément parfait" (dixit Henri Desgrange) va nourrir de ce moment, sans tapage mais avec une résolution sourde et obstinée, une idée fixe : faire payer à Metze et Krewer la note de cette journée de cauchemar.
Dès l'année suivante, d'ailleurs, à Bruxelles, il s'emploie méthodiquement cent kilomètres durant à asphyxier le champion westphalien, lui reprenant cette livrée arc-en-ciel qui lui revenait de droit. Les comptes paraissent donc à jour à l'aube de ce Mondial 1936 ? Toujours pas. Et puis notre homme a dû avaler la toute fraîche couleuvre du mesquin règlement de compte de la toute-puissante direction du Parc des Princes, ce qui n'a pas dû arranger ses dispositions d'esprit. Chez "La Longue Carabine" la vengeance est un plat qui se mange froid, surgelé même. Jusqu'à l'absurde. Jusqu'au magnifique. Jusqu'au déraisonnable bientôt…
En deuxième rideau derrière ces deux "monstres", pour l'Allemand Lohmann, prometteur espoir du demi-fond allemand, les chances de victoire sont réelles. Le fier Walter aime à clamer chez lui qu'il est le stayer numéro 1 de demain, et déteste cordialement son compatriote Metze. Ce dernier lui a rappelé, en remportant sur la piste de Dresde un cinquième titre national, que lui Erich Metze reste bien le patron d'aujourd'hui.
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Pourtant pas question pour leurs adversaires de compter sur cette inimitié pour la course au titre mondial : les deux hommes seront à Zürich "en service commandé" et on ne plaisante pas en haut-lieu en ces temps-là avec le respect des consignes.
Les chances de notre compatriote André Raynaud, récent champion de France – en l'absence (contrainte) de Lacquehay - apparaissent bien réelles elles aussi. Le poursuiteur imbattable, le six-dayman hors-classe est devenu stayer dès l'été 1932, et quatre saisons plus tard,
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il semble avoir atteint sa maturité. Lui déclare venir à Zürich sans prétentions, mais son entraîneur Victor Philippe, soyez en sûrs, ne doit pas partager son avis.
Une marche en dessous, postulent au titre L'Italien Severgnini, et le Belge Georges Ronsse,
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ardents protagonistes des éditions précédentes.
Loin d'être des faire-valoir, ils sont parfaitement capables de jouer les troisièmes
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larrons, surtout si les quatre cités ci-avant auront tendance le jour de la finale de se croire trop longtemps seuls sur la piste.
Et quand on sait que le fougueux et sympathique Severgnini est drivé par le déjà vénérable Arthur Pasquier, "sorcier de la moto d'entraînement", pacemaker blanchi sous le harnais maîtrisant les arcanes de la disciplines, tout est possible pour le stayer italien.
Arrivé à Zürich, Lacquehay le consciencieux s'est empressé de faire des ronds sur le ciment d'Oerlikon. A peine descendu de machine, on l'interroge. La piste ? " "Cette piste de 9 m 50 de large est dure… Oerlikon pour le stayer, ça veut dite une chape bouffée par course "
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" Oui, elle est dure... Il y a une bosse après la ligne d'arrivée qui fera mal aux mains et aux reins. Ca m'étonnerait qu'on passe les 70 kilomètres dans l'heure là-dessus ." L'oracle est tombé.
Et puis voilà que le pondéré, le discret Lacquehay, pourtant le contraire d'un fanfaron ou d'un matamore, vient à annoncer froidement la couleur, à tous micros tendus vers lui : " Les favoris ? Moi. Et Metze ! "
" Le Taureau de Westphalie " est prévenu. Il trouvera jeudi soir sur son chemin " La Longue Carabine"...
Immodeste Charles Lacquehay ?
Ou détenant déjà les clefs de la course ?
Patrick Police, pour STAYER FRANCE.
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Avec l'aide indispensable de François Bonnin
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1934 : DU RIFIFI A LEIPZIG - STAYER FRANCE : 100 % demi-fond et derny
CHAMPIONNAT DU MONDE 1934 : DU RIFIFI A LEIPZIG 1934 : Erich Metze et Paul Krewer au Buffalo de Montrouge, une semaine avant Leipzig 1934... LEIPZIG.. La finale du championnat du Monde de demi-fond
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