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1ère série (les 3 premiers qualifiés) – 19 h
01- Charles Lacquehay (FRA) – entr. Marcel Besson – les 100 km en 1 h 33' 2"
02- Walter Lohmann (ALL) – entr. Willy Hesslich
03- Joop Snoek (P-B) - entr. Albert Kaiser (ALL)
04- Hans Gilgen (CH) - entraîneur Hans Engeli
05- Gustaaf Geers (BEL) – entr. Raymond Massicot (FRA)
06- Edoardo Severgnini (ITA) – entr. Arthur Pasquier (FRA)
Le Danois Mogens Danholt (entr. Schadebrodt ALL) inscrit dans cette série est forfait.
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La course : A la tombée de la nuit, et devant onze mille spectateurs (bien plus que pour la finale du championnat du Monde de vitesse deux jours auparavant) Lacquehay et Lohmann, qui ont hérité des deux premières places, assurent un train raisonnable et constant pendant toute la course. 65.330 de moyenne accomplis au "petit trot". Ils ont laissé le soin à Severgnini, parti dernier, de buter longtemps (5 attaques) sur le local Gilgen avant d'en finalement venir à bout.
A l'évidence, Charles Lacquehay et Walter Lohmann en ont gardé sous la pédale… Un brin provocateur – ce qui ne lui ressemble guère – le stayer parisien enroule le dernier tour les mains en haut du guidon. Il aura été suivi comme son ombre tout au long de la série par le maillot blanc à bande rouge de Lohmann, impressionnant d'aisance lui aussi. L'homme aux quatorze victoires remportées sur le circuit du demi-fond cette saison 1936 sera assurément redoutable en finale. A sa descente de machine, Charles Lacquehay annonce la couleur : "Jeudi, il aura de la bagarre… Mais nous serons d'attaque !"
- 01- Charles Lacquehay (FRA) – entr. Marcel Besson – les 100 km en 1 h 33' 2"
- 02- Walter Lohmann (ALL) – entr. Willy Hesslich - 1 h 33' 3"
- 03- Edoardo Severgnini (ITA) – entr. Arthur Pasquier (FRA) – 1 h 34' 13"
- 04- Gustaaf Geers (BEL) – entr. Raymond Massicot (FRA) – 1 h 35' 9"
- 05- Joop Snoek (P-B) - entr. Albert Kaiser (ALL) – 1 h 35' 41"
- 06- Hans Gilgen (CH) - entr. Hans Engeli – à 13 t
2 ème série (les 3 premiers qualifiés)
01- Heïri Suter (CH) - entr. Paul Suter
02- Erich Metze (ALL) - entr. Maurice Ville (FRA)
03- Georges Ronsse (BEL) - entr. Ernest Pasquier (FRA)
04- André Raynaud (FRA) - entr. Victor Philippe (FRA)
05- Henk Alkema (P-B) - entr. Frits Wiersma
06- Gianni Manera (ITA) entraîneur Vitale Manera
L’ Espagnol Antonio Prieto qui avait annoncé sa venue et inscrit dans cette série ne s’est pas présenté car, comme le Danois Danholt, leur fédération ne prenant pas en charge leurs frais.
La course : Erich Metze a adopté un tempo infernal et a pulvérisé les records des 60, 80, 90 et 100 km établis par le Français Georges Paillard (1 h 28' 31" pour ce dernier).
Une véritable démonstration de force pour impressionner ses rivaux. Georges Ronsse lui s'est blessé à l'entrejambe avec les cahots de la piste, sa selle ayant glissé du chariot. Doublé à la fin par Metze, le Néerlandais Alkema a bien tenu le coup. Quant à "Heiri" Suter, le vieux super-champion suisse de la décennie précédente, soutenu par son public, il a réalisé une course pleine de vaillance dans le sillage de son frère Paul. Il effectuera un tour d'honneur qui vaut hommage à l'immense champion routier qu'il fût.
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Après pareille démonstration (interrogé Metze plastronne en affirmant qu'il n'a jamais voulu battre des records, mais seulement suivre le rythme imprimé par la moto de Maurice Ville...), la presse est unanime : Erich Metze est le favori de la finale. Avis partagé par le double champion du Monde Georges Paillard et le remplaçant de l'équipe de France Georges Wambst.
- 01- Erich Metze (ALL) - entr. Maurice Ville (FRA) – les 100 km en 1 h 27' 46"
- 02 André Raynaud (FRA) – entr. Victor Philippe (FRA) – 1 h 27' 50"
- 03- Georges Ronsse (BEL) – entr. Ernest Pasquier (FRA) – 1 h 28' 4"
- 04- Heïri Suter (CH) – entr. Paul Suter (CH) – 1 h 28' 44"
N.C. Henk Alkema (P.B) - entr. Frits Wiersma (distancé) / Gianni Manera. (ITA) – entr. Vitale Manera (ab.)
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La course : Devant douze mille personnes toutes acquises à la cause du demi-fond, se placent dans l'ordre du tirage au sort Severgnini, Lacquehay, Ronsse, Raynaud, Metze et Lohmann. On remarque que Lacquehay a, comme en qualifications, revêtu son maillot blanc à bande noire du V.C. Levallois.
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Severgnini emmène la ronde, tandis que Lohmann annonce déjà la couleur : il flâne déjà en queue, visiblement prêt à accompli sa besogne de "portier" au service de son compatriote Metze.
Au 18ème tour premier pétard allumé par Erich Metze, qui réveille une course qui avait tendance à s'assoupir à un 20" au tour plutôt pépère, sous l'impulsion inquiète de Severgnini. Le stayer allemand passe Raynaud, qui ne se défend pas, puis Ronsse, qui décolle rapidement.
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L'Allemand sur sa lancée tente de déborder Lacquehay, qui résiste cinq (!) tours durant. Première banderille à valeur de test : sa blessure à la selle est sans effet sur le rendement de "La Longue Carabine" La lutte annoncée entre lui et "Le Taureau de Westphalie" est engagée, et sur le mode sans merci s'il vous plaît.
Avec ce temps fort, l'allure s'est emballée, et Severgnini tourne désormais à 17" au tour, soit à un coquet 72 km/h. Au 30ème tour, l'Italien arrive sur Lohmann, qui va s'employer dès lors à "faire le mur", des kilomètres durant. Et l'Italien de désormais "tamponner" régulièrement l'équipage Hesslich / Lohmann jouant le serre-frein et ralentissant l'allure, revenue à 20" au tour. La bataille des nerfs est engagée.
Au 49ème tour, Metze reprend son ouvrage de démolition, mais cale toujours sur un Lacquehay intraitable. Deux fois, il va revenir à la charge, pour un même résultat. Georges Ronsse tente de profiter de ces échecs pour venir attaquer Metze, mais le champion allemand ne se laisse pas déborder. Tous les hommes se tiennent dans le même tour, en cent mètres.
Devant, par dix fois Severgnini a tenté de doubler Lohmann, qui jusque-là campait astucieusement à l'abri de tout vent des autres équipages. Pourtant, au 76ème tour, sa onzième tentative sera la bonne ! Lohmann, surpris par la violence de la poussée de l'Italien, tente tel l'étourdi de rattraper sa bévue en essayant de le reprendre, mais en pure perte.
30 kilomètres ont été parcourus en 28' 23" 4/5 et à la demi-heure, on relève que 31 km 670 seulement ont été accomplis. La cause de cette faible moyenne ? Le travail d'obstruction de Lohmann, sur lequel Lacquehay et Ronsse à tour de rôle ne cessent de venir échouer. Lohmann, toujours Lohmann.
Au 32ème kilomètre, Metze repart au combat. Une fois. Deux fois. En vain. Mais à l'orée du 36ème kilomètre, voilà qu'il aperçoit Lacquehay "encombré" par l'équipage Hesslich / Lohmann. C'est le moment ou jamais : une accélération forcenée et le voilà tombant sur le râble du Français, et, au terme d'un furieux coude-à-coude prolongé sur trois tours, qui fait se lever le public en tribunes, le champion germanique passe enfin le double champion du Monde !
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Mais Metze n'a pas le temps de savourer sa victoire, pas plus que de récupérer de la violence de son effort terrible, que déjà un maillot blanc ceinture noire revient sur lui en boomerang deux tours plus loin, et le déborde. Estomaqué par ce retour, Metze quitte alors un bref instant le sillage de Maurice Ville, ce dont profitent immédiatement Ronsse et Raynaud, ce dernier délibérément installé dans un course d'attente, pour "ramasser" le champion westphalien, qui rétrograde dès lors en cinquième position. Le Belge Ronsse a même profité de coup de grisou pour "chiper" la seconde place à Lacquehay. Bien vite, " La Longue Carabine" reprend son bien. Mais il n'en est pas plus avancé : devant lui pétrolent toujours gaillardement Severgnini et Lohmann, telles des montagnes infranchissables.
Un temps logé en queue du groupe, Metze voit même revenir sur lui un Severgnini avide d'achever la besogne. L'Italien s'y cassera les dents : la capitulation n'est pas au programme du champion du Monde 1934. Pendant ce temps, Ronsse et Lacquehay intensifient leur travail de harcèlement sur l'exaspérant Lohmann, qui a "poussé le verrou" et s'est même plaqué de toutes ses forces à la porte. Désespérant de constance, le doublé repousse chacun de leurs assauts. Raynaud, toujours attentiste, profite de ces séquences de sprints et ralentissements successifs pour s'insinuer à la troisième place. Les 50 km en 46' 56" 1/5.
Severgnini ouvre toujours la piste, Lacquehay à 100 m de lui, Raynaud 50 mètres plus loin, Ronsse à 200 mètres, Metze à 300… Et Lohmann devant tout ce beau monde, faux éclaireur et vrai serre-frein !
Ronsse, qui entretemps a récupéré sa troisième place, et qui, malgré sa blessure à la selle, accompli une course admirable, double alors Lacquehay, mais bute une nouvelle fois sur Lohmann-le-poison, qui a la bonne idée d'être quelques tours après victime d'une crevaison.
Attardé en cinquième position depuis un moment, Metze rumine des idées de vengeance. Et pour mener celle-ci à bien, il opte pour le changement de registre. Entre le soixantième et le soixante-dixième kilomètre, il abandonne la tactique du bulldozer pour celle du saute-mouton. Au soixantième, il a augmenté insensiblement l'allure, reprenant la recette de l'étouffoir, chère à son rival Lacquehay, et passe Raynaud comme à la parade. Encore plus vite, encore plus fort et dix kilomètres plus loin c'est au tour de Ronsse d'être escamoté.
Les 70 kilomètres sont passés en 1 h 6' et Severgnini, Lacquehay et Metze ne vont plus se lâcher d'une semelle, filés par Raynaud-la-prudence et un Ronsse épatant, toujours à l'affût. Le fil de la course est tendu à se rompre et il y a comme de l'électricité dans l'air... Et d'un seul coup, ça explose : sprint fulgurant de Metze, revenu au mode marteau-pilon ! Objectif " liquidation Lacquehay". Mais ce dernier a eu le temps de voir venir et lui répond du tac au tac. Il va falloir remettre le métier sur l'ouvrage... Découragé le champion allemand ? Ce n'est pas le genre du Monsieur ! A cela il préfère l'attaque obstinée, à outrance, jusqu'à écrasement de l'adversaire ! D'ailleurs, il remet la sauce deux tours plus loin. Et cette fois il déborde irrésistiblement notre champion du Monde ! Il y a de la transe dans les tribunes côté supporters allemands. Mais ceux-ci vont se rassoir très vite car deux tours plus loin, Lacquehay vient leur rejouer sa partition de l'éternel retour, prouvant ainsi que le surnom de "Jim la Glue" dont l'avaient affublé les frères Pélissier en leur temps ne lui avait pas été donné sans raison.
Retour à la case départ pour Metze ? Même pas, puisque Raynaud vient lui charogner la troisième place alors qu'il se remettait à peine du coup de vent infligé par "La Longue Carabine".
Mais Erich Metze est du genre entêté : le temps de se refaire une santé, et le voilà reparti à nouveau au combat, pour se fracasser une nouvelle fois sur le roc Lacquehay. Mais "même pas mal" : il remet ça quelques tours plus loin ! Et cette fois, il va enfin trouver l'ouverture. Une ouverture préparée de main de maître par Machiavel-Lohmann. Ce dernier a délibérément freiné le stayer français, et l'a "encombré" suffisamment pour que Metze puisse le passer sur une nouvelle charge torrentueuse. C'est propre, c'est net, sans bavures : l'ogre de Westphalie n'a plus que Severgnini à croquer et la piste sera dégagée ! Les 80 kilomètres sont brûlés en 1 h 14' 58" dans une indifférence totale. Tous les regards sont sur la piste, et le chronomètre est le dernier souci dans le chaudron qu'est devenu l'Oerlikon de Zürich. Metze déboule maintenant plein gaz sur Severgnini. Une formalité non ? C'est sans compter sur le fait qu' Eduardo et son pacemaker ont eu le temps depuis une heure de nourrir ce qui pourrait ressembler à du ressentiment envers les stayers germaniques. Du coup, ils refusent de venir grossir la liste des dépassés. Obstinément. Le brave Erich va en décoller de rage, et comme si ce n'était pas assez, voir avec dépit Lacquehay et Raynaud saler l'addition en le passant furtivement, façon maraudeurs. De quoi être escagassé non ?
Nous sommes à vingt-six tours de la fin. Alors, achevé "Le Taureau de Westphalie" ? Que nenni ! Le temps nécessaire au citoyen de Dortmund pour récupérer de ce knock-down, et le voilà qu'il reprend déjà le chemin de l'atelier ! Là-bas il a mitonné une attaque de derrière les fagots, du genre brutalissime, dévastatrice, et définitive ! D'ailleurs on entend la moto de Maurice Ville s'emballer, s'emballer, dans un feulement déchirant et ça n'annonce rien de bon pour ses adversaires. Et en moins de temps qu'il ne lui aura fallu pour les dépasser, voilà Raynaud, Lacquehay et Severgnini éparpillés sur le ciment comme après le passage d'une charge de buffles.
Au 94ème kilomètre, la voie royale, tracée à la hache par "Le Taureau de Westphalie", avec vue imprenable sur le maillot arc-en-ciel est dégagée pour celui dont la générosité et l'obstination auront chaviré tous les coeurs. Derrière lui, un Ronsse qui fait décidemment ce soir la course de sa vie a récupéré mine de rien la seconde place. Il ne reste plus que 19 tours à accomplir, Erich Metze semble avoir le titre en poche. Un maillot arc-en-ciel qu'il n'aura pas volé. Mais qui pourrait encore le lui être ?
Il n'a pas pu entendre derrière lui Victor Philippe hurler à André Raynaud : "André, à fond, maintenant !!!" " Non, il y avait trop de brouhaha en tribunes, le vélodrome n'était plus que tumulte et la délégation allemande braillait à qui mieux mieux en bord de piste. Comment aurait-il pu entendre, Victor Philippe et André Raynaud, comme portés par ce déluge de décibels, fondre d'abord sur Severgnini, surleculté au passage, oublier ensuite Lacquehay, balayé en coup de vent, et pulvériser enfin un Ronsse qui se préparait à pousser les feux au même moment !
Déjà le champion de France fond sur un Metze au regard de taureau qui voit arriver le moment de la mise à mort. Deux tours de résistance désespérée, pendant lequel l'Oerlikon chauffe à blanc... Et puis Metze qui cède, s'éloigne du rouleau, centimètre par centimètre... et Victor Philippe qui enfonce le fer et hurle : "Alllleeez, André !", Raynaud répondant en écho comateux "Allez !" sans trop savoir pourquoi... Et Metze qui craque enfin, ça y est, c'est passé pour le champion de France !
Mais… Mais devant l'ex-roi des poursuiteurs, voilà posté devant lui les cauchemardesques Lohmann et Hesslich, qui ralentissent, ralentissent… " Décidemment il aura pourri la course jusqu'au bout " pense, alors qu'il est au paroxysme de l'effort, le Limousin. " Il veut me "freiner" alors qu'il est à plus de six tours ! "…
Non, cette fois ce sont les commissaires qui, lassés de voir le farouche Walter alterner séance de ralentis et sprints de barrage, lui ont enfin intimé l'ordre de quitter la piste. Encore quelques tours à faire semblant de ne pas comprendre les sémaphores qui agitent véhémentement leur drapeau en bord de piste et il quitte enfin la scène, à regrets… ses seuls regrets.
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André Raynaud s'est débarrassé de l'épouvantail Metze, c'est donc gagné ? Voire... Car sur ses arrières, on chahute un peu ! Pas de répit pour l'homme de tête, car à sept tours de la fin Georges Ronsse, lové derrière la moto d'Ernest Pasquier entame un retour du feu de Dieu sur la tête ! Et Raynaud de s'employer à fond pour repousser le baroud d'honneur du champion belge. "Ouf ! Plus que quatre tours et c'est plié ! " pense alors le Limousin. Juste à ce moment, une rumeur formidable enveloppe le vélodrome. Un tintamarre forcené, vaguement dément... Comme une alerte.
C'est celle donnée par le public zurichois, qui fait sauter le mur du bruit au spectacle du sprint insensé que vient d'engager "La Longue Carabine". Un Lacquehay comme habité qui, à plat ventre sur le tube de cadre, les coudes écartés, la bouche tordue par l'effort, est tout à son accélération forcenée. Lui, le stayer minéral, hiératique, sorte d' Helieno Herrera du demi-fond, à qui l'on fait reproche d'une efficacité immuable et mécanique, lui le styliste-impeccable-jamais-désuni-dans-l'effort est parti sabre au clair, dans le désordre qui sied à la fureur sauvage, pour une charge folle pleine de panache ! Severgnini vient lui faire de la résistance. Mais pourquoi Bon Dieu ??? Severgnini enfin débordé, il cueille Ronsse et Metze comme des fruits mûrs. Deux tours plus loin, le vélodrome Oerlikon, de cocotte-minute prête à exploser, a mué en asile de fous : ça hurle, ça éructe, ça gronde, ça trépigne, ça explose !
Lacquehay est revenu sur la moto de Victor Philippe ! Raynaud, voit à sa droite pointer le pneu avant de la moto de Marcel Besson. Alors, il ferme les yeux (!), les dents serrées à craquer, la tête en feu, et pousse "à la mort", au bord de l'évanouissement, avec l'obsession affolée ("On avait pas passé comme un accord avant le départ ?" ) d'empêcher le "vieux" de venir à sa hauteur. Encore un tour le feu dans la poitrine, le cœur au bord des lèvres et la peur au ventre... Et un tour de plus, parce que "complètement dans les vap's", Victor Philippe et André Raynaud n'ont même pas vu le commissaire en bord de piste signaler la fin de la course.
Et c'est gagné !!! Il aura manqué quinze misérables mètres au vieux crocodile Lacquehay pour réaliser un passe de trois sensationnelle ! Derrière les deux hommes, Georges Ronsse va chercher dans le dernier tour "avec les dents" une troisième place qui vaut son pesant de gloire et de respect.
André Raynaud lui, explose de joie. Il est champion du Monde ! A peine un mois après avoir été champion de France, et en employant la même tactique d'attente, peu glamour mais si efficace !
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Oui, c'est lui, André Raynaud, qui reçoit le maillot arc-en-ciel. Mais ce sont les deux héros du jour, Metze et Lacquehay, les acteurs phénoménaux de cette heure dantesque , qui le lui auront passé sur les épaules.
Personne, sur le vélo, sur la moto, dans et autour de la piste, ne s'y est trompé. Et voir Erich Metze ne pas même récolter une troisième place qui aurait été le tarif minimum de son fabuleux abattage aura fendu le cœur de plus d'un.
A trente-et-un ans, André Raynaud remporte un championnat du Monde historique. "J'étais venu ici sans prétentions… On avait décidé la course d'attente et la fin du duel Metze/ Lacquehay pour intervenir... Pardon au public de Zürich... Du spectacle, je promets d'en faire quand je reviendrai ici , mais là il y avait un maillot en jeu " déclare t-il. Il n'évoquera pas l'accord passé (selon la presse helvétique) avec Lacquehay par lequel il devait porter son attaque aux alentours du 80ème kilomètre, et qu'il a opportunément reportée.
Malgré cette déclaration lénifiante, le brillant élève est un esprit bien trop subtil pour ne pas se rappeler que son maillot tricolore avait été conquis trois semaines auparavant en l'absence du maître. Et cette embellie arc-en-ciel, ne lui est tombée sur les épaules que parce que" La Longue Carabine " aura préféré son amour-propre à la quête d'un troisième titre mondial. " J'ai brûlé mes forces une heure durant pour te débarrasser du plus dangereux des rivaux, et en même temps je t'ai mis un fameux coup de pression en fin de course, suffisant pour te faire comprendre que ce titre pouvait aussi bien être mien… " aurait pu dire le vieux champion a son jeune rival...
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Au lieu de cela, il préfèrera lui souffler à la descente de machine, de sa voix douce et voilée : " Bravo mon petit André, bravo ! Je suis content pour toi !" en le serrant dans ses bras, ce qui n'est vraiment pas le genre de la maison. D'ailleurs, pour appuyer la démarche, il ne refusera pas de partager avec son compatriote un tour d'honneur un peu protecteur.
Un peu plus tard, il délivrera aux journalistes les sous-titres de la course : " Je marchais comme rarement j'ai marché ! C'est le duel avec Metze qui m'a fait perdre : s'il ne gagnait pas, je ne gagnerais pas non plus. Pourquoi ? Je n'ai pas peur de vous le dire : parce que nous étions les plus forts. Mais je n'avais pas le choix : s'il passait, on ne le revoyait plus. Si je n'avais pas été là, il faisait ce qu'il voulait ! "
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" Quant à Lohmann, il a gêné tout le temps : à un moment on tournait à 54 km/h à cause de lui ! N'empêche, j'ai bien cru que j'allais passer Raynaud… Quant à Metze, quel champion ! Il est terrible, j'ai pour lui une admiration sans borne ! " En écho, un Erich Metze dépité valide le propos : " Avec Lacquehay, nous avons fait tout le travail ! Et un troisième larron ramasse la mise... "
Quant à l'homme-clé (le geôlier plutôt) de ce championnat, Walter Lohmann, il se commet dans un marécage de justifications oiseuses : " Parti le dernier, j'ai voulu freiner mes adversaires pour les fatiguer ! Mais je n'ai aidé Metze qu'après ma crevaison (sans blague ?). Là, je n'avais plus rien d'autre à faire. On m'a fait descendre et mettre hors course, en me collant en plus une amende de 1000 francs mais franchement qu'est ce que j'ai fait de plus que Wambst l'année dernière ? (là, il y a matière à...) "
Admirable, Georges Ronsse aurait pu assurer une seconde place : il a préféré tout tenter pour gagner. Et il a d'autant plus de mérite que sa blessure de la selle survenue en qualification l'a fait souffrir le martyre. Un coup de chapeau au vieux champion s'impose, et comment !
Quant à Severgnini et au Père Pasquier, ils sont comme enragés, et se plaignent à qui veut les entendre du traitement infligé à eux par Lohmann et Metze. Ils se voyaient bien champions du Monde… Pourtant, c'est bien grâce au barrage effectué par Lohmann qu'ils ont pu caracoler en tête pendant les trois-quart de la course non ? Qu'auraient-ils fait face à une déferlante Lacquehay / Metze ? Et puis, ces deux-là n'ont pas fini de se taper la tête - jusqu'au désespoir - contre le "bétonnage" des stayers germaniques… Et ils ne peuvent pas imaginer encore jusqu'à quel point...
La presse, quant à elle est unanimement dithyrambique. Chavirée de bonheur, elle titre à la régalade : "On n'avait jamais vu ça." " Lacquehay le plus grand stayer de ce championnat " " Un choc titanesque " " Enfin du beau demi-fond " " Course admirable en vérité ", " Compétition unique dans les annales du cyclisme "...
Voilà qui nous change un peu...
Après la Marseillaise, une assistance galvanisée, les yeux encore plein d'étoiles, scande maladroitement des "Ré-No, Ré-No" qui se diluent dans la nuit zurichoise. Le cœur du nouveau champion du Monde en est chaviré.
Il est payé d'un coup de quatre années de déceptions dans ce métier de stayer qu'il a embrassé pour faire le tour du métier de pistier.
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Alors, deux maillots en l'espace de trois semaines, c'est trop de bonheur.
Hélas oui, c'est trop de bonheur.
Le poursuiteur imbattable, le six-dayman virtuose, devenu ce soir de septembre 1936 roi du demi-fond n'a plus que six mois à profiter de son rêve éveillé… Le 20 Mars 1937, au Palais des Sports d'Anvers, la moto d'Ernest Pasquier, écrasera sous ses roues, en même temps que la poitrine du champion limousin, les beaux maillots arc-en-ciel et tricolore qu'il portait ce soir-là. Deux maillots qu'il voulait talismans.
Des talismans devenus linceuls.
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- André Raynaud (FRA) – entr. Victor Philippe – les 100 km en 1 h 32' 21"
- Charles Lacquehay (FRA) – entr. Marcel Besson – à 15 m
- Georges Ronsse (BEL) – entr. Ernest Pasquier (FRA) – à 150 m
- Erich Metze (ALL) – entr. Maurice Ville (FRA) – à 250 m
- Eduardo Severgnini – entr. Arthur Pasquier (FRA) – à 300 m
N.C. Walter Lohmann (ALL) – entr. Willy Hessich
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Sources : Sporting; L'Echo des Sports; L'Auto; Cyclosport; Paris-Soir; L'Impartial; L'Intransigeant; Paris-Midi; Match; Excelsior; Le Miroir des Sports; Les Sports; Gazette Van Antwerpen; Le Journal; Sport; Le Petit Journal; La Feuille d'Avis de Neufchatel; Gebwiller Neuer Nachtrichten; L'Express (Suisse); Livres "Der eintffesselte Weltmeister" d'Adolf Klimanchewsky, Geschichte des rad sports de W. Gronen et W. Lemke et EEen Eeuw Achter Gangmaking de A. Th. Brander.
Remerciements à François Bonnin pour ses recherches sidérales et ses informations miraculeuses
Patrick Police, pour STAYER FRANCE
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