ELBERFELD STADION (Elberfeld bergisches stadion Wuppertal à partir de la fusion de Elberfeld et Wuppertel en 1929) – piste de 500 mètres
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La presse décrète Elberfeld « capitale du demi-fond ! » Pas moins de 50 000 personnes sont présentes pour accueillir les délégués U.C.I. et les journalistes ! Le meeting mondial a été favorisé par une important subvention de l'Etat. Ce championnat marque le plein retour de l'Allemagne sur la scène sportive après " l'atroce conflit mondial", dixit L'Echo des Sports.
Les six meilleurs temps qualifiés, puis les quatre premiers sous la pression des organisateurs demandant une finale à huit pour Dimanche. Il est à noter que lors du Congrès de l'U.C.I. tenu avant ce championnat du Monde, l'Allemagne avait réclamé quatre représentants pour elle-même, la France et la Belgique, sans succès.
La piste d'Elberfeld est longue de 500 m, large de 12 et d'une surélévation en virage de 8 mètres. Due au talent de l'architecte dresdois Edmund Hellner a été conçue pour le demi-fond. Construite en 1924 elle sera déclarée pendant de nombreuses années, "piste la plus rapide du Monde". Lors de la première course organisée sur son ciment, Carl Saldow y a battu le record du Monde de l'heure avec 85.500 km.
Léon Didier déclare après avoir tourné quelques tours sur la piste : « On pourrait y tourner à 100 à l’heure sans toucher le guidon ! »
Prix : 1 250, 750 et 375 francs-or; non placés série 75 francs-or et non-placés finale 100 francs-or
Deux concurrents par nation. Forfait de L’Italien Francesco Vay pour la première série.
1ère série vendredi 22 Juillet à 21 h 15
- Franz Leddy (P-B) – entr. Constant Ceurremans (BEL) – les 100 km en 1h 10’ 10’’
-
Victor Linart (BEL) – entr. Arthur Pasquier (FRA) – à 380 m
- Walter Sawall (ALL) – entr. Willy Hesslich - à 405 m
- Léon Parisot (FRA) – entr. Julien Requis – à 560 m
- G. Lauppi (CH) - entr. Walter Hesslich (ALL) en remplacement de Werner Krüger (ALL) – à 3 100 m
Ab. Hans Snoek (P-B) au 35ème km
La course : Devant 8 000 spectateurs, le Néerlandais Leddy prend la tête dès le départ, suivi de Linart et Parisot, ce dernier vite passé par Sawall et Lauppi, qui sera victime d’une panne moto, et qui malgré tous ses efforts quand il reviendra sur la piste ne pourra quitter sa position de lanterne rouge. Linart quant à lui s'est visiblement contenté d’assurer sa seconde place, les quatre premiers s'étant visiblement ménagé pour la finale de Dimanche, même si Leddy sur la fin, accélérant, réussit à prendre un tour à Parisot.
2ème série vendredi 22 Juillet
- Jean Brunier – entr. Léon Didier (FRA) – les 100 km en 1h 8’ 5’’3/5 - moy. 88 km/h (record du Monde)
- Paul Suter (CH) – entr. Daniel Lavalade (FRA) – à 1 530m
- Paul Krewer (ALL) – entr. Christian Jungeburth – à 3 490m
- Léopold Torricelli (ITA ) - entr. Henri Colonna (ou Cipressi selon autre source) – à 3 650 m
- Léon Vanderstuyft (BEL) – entr. Walter Gedamke (ALL) – à 13 500m
Ab. Hans Snoek (P-B) au 35ème km
La course : Suter, Brunier, Snoek, Toricelli, Krewer et Vanderstuyft dans l’ordre du départ. Dès le second tour, Brunier s’empare du commandement. Une suite de crevaisons vont perturber la course : à leur tour Suter, puis Krewer en sont victimes entre les dixième et vingtième kilomètre. Snoek, victime de la panne de moto de son entraîneur, abandonne. Brunier bat les records du Monde U.C.I. à 88 km/h de moyenne. Les 50 km en 34’ 2’’. Les 90 en 1h 1’ 21’’.
Après la course, Brunier déclare : « Je peux encore gagner cinq minutes sur mon temps de ce soir ! » Une fanfaronade ? Ce faisant il s'expose à la délicate posture de favori. Les observateurs ont remarqué l'abattage de l'Allemand Krewer, qui, malgré deux crevaisons, est revenu à chaque fois vivement dans la course et semble être resté sur la réserve. Et de craindre qu'il ne montre un tout autre visage dimanche.
Avec le coup de force du tandem français, la finale s’annonce dramatique .
Victor Linart en accepte l'augure et déclare à la presse : « Je me sens bien sur cette piste. J'irais aussi vite qu'on voudra. Du moins que le voudra mon moteur... On veut la course à la mort ? Allons-y ! » Quant à Léon Didier il se contente d'annoncer : "En finale ce sera terriblement vite. Et attention aux becs de gaz !"
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Finale
Dimanche 24 Juillet à 17 h
- Victor Linart (BEL) – entr. Arthur Pasquier (FRA) - les 100 km en 1 h 8’48’’
- Paul Krewer – entr. Christian Jungeburth (ALL) – à 180 m
- Walter Sawall (ALL) – entr. Ernest Pasquier (FRA) - à 490 m
- Paul Suter (CH) – entr. Daniel Lavalade (FRA) à 700m
- Jean Brunier (FRA) – entr. Léon Didier – à 1 200m
- Léon Parisot (FRA) – entr. Julien Requis – à 11 500m (23 t)
Ab. Franz Leddy – entr. Constant Ceurremans (BEL) - (70ème km; Leopoldo Toricelli (ITA) – entr. Henri Colonna (FRA)
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La course : 25 000 spectateurs remplissent les gradins, 67 000 marks (plus de 400 000 francs) de recette !
Dès le début de l'après-midi des incidents se sont enchaînés : tôleries des engins allongées, entraineurs sur-rembourrés, souliers épaissis, boutons de vestons "flottants", morceau de bois ou de carton rattaché à la selle de la moto (Arthur Pasquier, Joseph Kaser), chantage au refus de prendre le départ (Christian Jungeburth), et enfin ordre du tirage au sort discuté jusqu'à une heure du départ de la course... Toutes ces péripéties font planer sur cette édition une ambiance oppressante...
L'ordre derrière la ligne de départ, déterminé par tirage au sort et ré-attribué après réclamation de Victor Linart est finalement le suivant : Linart, Suter, Krewer, Sawall, Leddy, Brunier, Parisot. Brunier, favori depuis son époustouflante démonstration de l'avant-veille, subit là un lourd handicap. Victor Linart vient d'acquérir les clés de la course.
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Dès le départ Linart et Krewer foncent éperdument, pendant que les autres concurrents perdent une centaine de mètres suite aux injonctions d'un individu qui a crié en bord de piste « Pas de départ, un entraîneur n’est pas en règle ! » Résultat : 100 mètres de perdus pour les six concurrents freinés!
Linart a appliqué la seule tactique pour lui possible : partir à fond, car Krewer le talonne déjà à 50 mètres, Suter et Leddy suivant à 100 et 140 mètres. Les 10 kilomètres en 7' 17 ". Suter tente un rapproché sur Krewer, qui repousse son accélération. Brunier quant à lui essaie de se faire oublier et adopte une tactique d'attente jusqu'aux vingt kilomètres, atteints en 14' 4".
Et puis peu après, au prix d'une accélération fulgurante, il s'en va passer en coup de vent coup sur coup Sawall, Leddy et Suter. Dès lors, il sera harcelé par ces trois coureurs et devra repousser nombre d'assauts de leur part. Aux trente kilomètres, passés en 20'49", le champion de France arrive sur les talons de Krewer, alors que Parisot et Toricelli apparaissent déjà à leur point de rupture, tout comme la mécanique des motos d'entraînement, poussées depuis le départ à un régime affolant.
Linart maintient un tempo infernal (40 km en 27'34" : record) et talonne Sawall, qui dès lors reprend un peu de champ, alors que Toricelli abandonne, sa moto refusant tout service. Cinq kilomètres plus loin, Léon Didier entame une longue accélération pour déloger Krewer de la seconde place. L'Allemand semble un moment dans les cordes, mais c'est Brunier qui doit céder au terme d’un interminable bras de fer. Le champion de France, brisé, se fait alors "ramasser" par le Néerlandais Leddy, toujours à l'affût. Pendant cette impressionnante séquence, Linart, bloqué par Sawall, a heureusement pu profiter de la baisse de régime de Krewer et Brunier consécutive à la violence de leur échange.
Les 50 km sont avalés en 34’ 23’’ 2/5 (record) et Krewer talonne toujours Linart à 50 mètres, l'inquiétant Leddy attendant visiblement son heure dix mètres plus loin. Brunier, qui s'est requinqué, campe maintenant à 150 mètres, suivi par Suter toujours dans le tour mais à 300 mètres de la tête. Tous les acteurs de cette bataille apparaissent à l'évidence "à bloc" quand les 60 kilomètres sont chronométrés en 41' 15".
C'est le moment que choisit Léon Didier pour repartir au combat. Il le fait à un moment où le train de Krewer l’obligerait, pour le passer, à tourner à 19 secondes au tour, soit 92km/h !!! Léon Didier et son coureur décident de jouer le titre mondial à quitte ou double.
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Le Parisien est sorti vivement de la tranchée, comme propulsé. Au ras des balustrades, il va éventer en injection un Leddy abasourdi, et débouler à 18 secondes au tour (soit 100 km/h !) sur Krewer ! Toutes piques dehors le "Porc-épic" va résister obstinément, deux tours hurlant durant, follement soutenu par un public en transe. Devant, Linart, poussé à fond, commence même à faiblir. Krewer semble lui au bord de la surchauffe... Le rugissement des moteurs hauts en tours exaspère le tumulte des tribunes chauffées à blanc... Ni Krewer, ni Brunier ne cèdent. Alors... Alors, « Le Roi des entraîneurs » va commettre une faute. Irréparable : "Le Roi des entraîneurs" va « oublier » son coureur, jusqu'à le faire "exploser" !
Le champion de France, sur cette piste où la première place est capitale, sait qu'il vient de jouer son va-tout sur ce forcing insensé. Il ne cessera plus dès lors de reculer au fond de la course, jusqu'à se faire passer par Suter, et finalement concéder jusqu'à trois tours. A quoi bon ? Triste fin pour le super-favori après sa mémorable démonstration-coup de force en série.
Aux soixante-dix kilomètres Linart reste toujours sous la menace de l'infernal Krewer, embusqué à 50 mètres. L' Allemand n'a lutté que pour conserver sa seconde place, et n'a jusqu'ici timidement attaqué Linart qu'une misérable fois. Par contre, exit l'énigme Leddy : le Néerlandais doit abandonner suite à la panne de la moto de Ceurremans.
Cinq kilomètres plus loin, Linart passe un Brunier maintenant dans les cordes. Pourtant, pas question pour le tenant du titre de relâcher la pression, Krewer est toujours là, derrière, à l'affût. Pourtant, aux 80 kilomètres, atteints en 54' 58", Krewer, dont les luttes avec Brunier ont quand même entamé l'énergie ( et qui s'en étonnerait ?) commence enfin à concéder mètre après mètre au "Sioux". 87km 300 dans l’heure. Linart, impitoyable, parachève son impitoyable entreprise de démolition, doublant les 90 kilomètres en 1 h 1' et 50 " !
Tous les acteurs de la course paraissent maintenant au bout de leur rouleau. Tous au bout de leur rouleau ? Non, car voilà Sawall qui laisse sur place Suter - qui n'a jamais pu mettre "le nez à la fenêtre " de la course et qui sera bientôt croqué par Linart - et s'en va flanquer à quelques tours de la fin le coup de pied de l'âne à son compatriote Krewer. Mais pas de ça, Lisette ! Le stayer de Cologne le rappelle immédiatement à la décence, et le renvoie camper hors de ses turbulences. "Indi" conservera jusqu'au bout une seconde place mille fois méritée.
Une ovation monstre est réservée au vainqueur, qui reçoit son quatrième maillot arc-en-ciel - le dernier - sur fond de Brabançonne. Mais la foule n'est pas ingrate, et elle réclame avec ferveur aux côtés du Géant de la piste les héros de la course Krewer, Sawall et Brunier, qu'elle célèbre avec chaleur
Victor Linart, qui affiche trente-huit ans bien sonnés au compteur, reste donc ce stayer monumental, déjà légendaire, comme statufié de son vivant par cette quatrième levée arc-en-ciel. Après la course, il se confiera : « Cela a été plus facile (!) que je ne l’aurais pensé. En tous cas Brunier a été magnifique, et Krewer particulièrement tenace »
Oui, Krewer et Brunier furent bien les héros d’un match dont l'intensité a été par moment presque angoissante, dans l'impressionnante cathédrale de Wuppertal, où l'on a tutoyé les quatre-vingt-dix- à l'heure en permanence.
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Linart et Krewer auront conservé leur position respective tout au long de la course. Certes, "Le Sioux" n'eut finalement pas une attaque à repousser pendant les cent kilomètres de la course, mais il a dû subir la pression permanente de Krewer, qui jamais pourtant ne put l'approcher suffisamment pour l'attaquer franchement. Quoiqu'il en soit, une chose est sûre : Victor Linart reste bien le meilleur stayer du Monde.
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Quant à Jean Brunier, il aura touché la somme de... cent francs (50 francs-or par course), pour prix de ses efforts faramineux. Ne cherchons pas plus loin la raison pour laquelle notre homme ne s'alignera plus sur le circuit la saison suivante. Quelques jours plus tard il déclarera : "J'avise l'U.V.F. que jamais plus je ne courrai un championnat du Monde tant que les allocations resteront ce qu'elles sont... Toucher 50 balles quand les organisateurs empochent près d'un million de recette vous avouerez..."
Nota : les noms des entraineurs des trois concurrents éliminés en série ne sont pas donnés. Pour mémoire : Hans Lauppi (5ème de la 1ère série) était entrainé dans le championnat de Suisse où il se classe second par Willy Hesslich (ALL) (à noter que dans P. Süter remporte ce championnat avec Lavalade qui sera son entraîneur au mondial)
Léon Vanderstuyft (5ème de la 2ème série) était entrainé par Caudrillier dans le championnat de Belgique disputé à Paris (!) au vélodrome Buffalo le 08/05/1927 où il s'est classé second derrière Linart, ; entraîné par le même Caudrillier dans toutes les épreuves mentionnées par L’ AUTO avec les listes d’entraineurs.
Jan Snoek (éliminé dans la deuxième série – abandon-) a remporté le 18 Juillet 1927 le championnat des Pays-Bas , entraîné par Kaeser.
Etude de Patrick Police et François Bonnin
pour STAYER FRANCE le 15 Décembre 2021
Sources :
- Quotidiens, magazines : Paris-Soir; L'Echo des Sports; l'Auto; L’Intransigeant; Le Petit Parisien; Excelsior; Match; le Miroir des Sports; Match Haarlem’s Dagblad 25 juli; Illustrieten Rad Ren Sport; Rad-WM in Deutschland.
- Livres : Geschichte des rad sports des fahr rades de W. Gronen et W. Lemke; Der entfessekte weltmeister d' Adolf Klimanchewsky
- Compléments d'information et documents : Doc Petzold et Heinz Weidner
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