Avec l'immense Constant Huret, il a été probablement le plus grand stayer français de tous les temps.
Son palmarès, pourtant hautement respectable (deux titres de champion de France et du Monde), ne restitue absolument pas la véritable dimension du personnage, que tous ses contemporains et observateurs - français ou étrangers - se sont accordés à reconnaître comme un maître de la spécialité.
Après une carrière de routier professionnel entamée en 1919, "Jim la Glu" surnom donné par Henri Pélissier à ce coureur indécrochable, va constituer pour l'histoire, avec son compère Georges Wambst, entre 1925 et 1930, LA paire d'américains emblématique de la piste française. Les deux black and white consument les pistes des vélodromes à New-York, Breslau, Paris, Berlin ou Chicago et sont redoutés de tous les pistards du monde. Charles Lacquehay y gagnera le titre de " Six-Dayman le plus spectaculaire du Monde ".
Lorsqu'à l'hiver 1929, saturé de victoires et de gloire, il décide, après une réflexion longue de quatre années, de tenter l'aventure du demi-fond, la surprise est grande dans la presse de l'époque. Il est vrai qu'une vilaine chute (fracture de la jambe) a précipité sa décision de changer de spécialité.
Alors, il va "faire ses classes" derrière moto, lui le champion labelisé. Classes qui se révèleront laborieuses, puisqu'il pensera un moment passer sur la moto pour y entraîner son camarade Georges Wambst.
Et puis, à force d'un travail opiniâtre derrière le rouleau du fidèle Marcel Besson, d'un ascétisme et d'un courage jamais rebutés, au bout de deux saisons, il va acquérir "le coup de patte du stayer", cette pédalée quasi-mécanique, précise et nette, qu'il mettra au service de sa tactique du "crocodile", sa marque de fabrique. Cette manière de courir, qui vise a "pousser" sur l'adversaire par un train progressivement insoutenable, à le travailler longtemps jusqu'à l'étouffer, va semer la terreur pendant un lustre sur les pistes d'Europe.
Pour ses adversaires, il est désespérant " à lire" : visage lisse et impassible au service d'une pureté de style sans exemple. "Désespérément parfait" comme l'a dépeint Henri Desgrange, "l'Homme qui sait souffrir un quart d'heure de plus que ses adversaires" pour l'athlète. " L'honneur sportif incarné" pour sa moralité.
En 1932, il ne passe pas loin d'un titre de champion de France, et ce jour-là tout un chacun comprend que la consécration du bon "Charlot" n'est plus qu'une question de circonstances.
Après avoir contribué (aidé ?) au sacre mondial de Georges Paillard à Rome en 1932, il va imposer sans discussion sa suprématie sur la spécialité durant la saison 1933.
Le champion parisien (il a vu le jour le 4 Novembre 1897 rue Franklin dans le 16ème arrondissement) va d'abord écraser le championnat de France, avant de délivrer un véritable au championnat du Monde.
En évoquant sa démonstration du Parc des Princes au championnat du Monde en cet été 1933, on en appellera à la mémoire du grand Robert Walthour, rien de moins ! Jim la Glu", "Charlot" devient la "Longue Carabine". Pour la postérité.
Mardi 15 Août 1933.
Le jour où Charles Lacquehay redonna au demi-fond ses lettres de noblesse (Sporting, 22 Août 1933)
CHAMPIONNAT DU MONDE 1933
Samedi 12 et Mardi 15 Août - Paris - vélodrome du Parc des Princes - 454.545 m, ciment
rouleau à 0.60 m
Règlement de la "corde verte" : tracée sur la piste, le stayer et son entraîneur ne doivent pas la dépasser extérieurement lorsqu'il sont attaqués, sauf s'ils attaquent eux-mêmes un concurrent.
Les championnats du Monde de vitesse (professionnels et amateurs), de demi-fond derrière motos et de cycle-balle sur pelouse (le 12 à 13 h) sont organisés les samedi 12, dimanche 13 et Mardi 15 Août
Participants inscrits :
FRANCE : Charles Lacquehay (Bleu Blanc Rouge) - entr. Marcel Besson / Georges Paillard (Blanc, bande noire, manche liseré tricolore) - entr. Maurice Guérin / remplaçant : Robert Grassin (Blanc, parement et étoiles bleues) - entr. Maurice Ville ITALIE : Franco Giorgetti(Vert Blanc Rouge) - entr. Arthur Pasquier (FRA) / Ardito "Arturo" Bresciani (Bleu, croix de Savoie côté gauche poitrine) - entr. Félicien Van Ingelghem (BEL)ALLEMAGNE : Erich Moeller (Bleu et Blanc) - entr. Clarence Carman (E.U.A.) / Erich Metze (Blanc, ceinture rouge et noire) - entr. Karl Saldow / remplaçant : Walter Sawall GRANDE-BRETAGNE : Harry Grant (Blanc, écusson couleur Angleterre) - entr. Leon Vanderstuyft (BEL) BELGIQUE : Henry Wynsdau (Rouge, jaune, noir) - entr. Georges Groslimond (CH) / Emile Thollembeek (Vert et noir) - entr. Henri Saugé (FRA) / remplaçant : Victor Linart PAYS-BAS : Martinus Van der Wulp(Noir, ceinture blanche) - entr. Emile Vanden Bosch (BEL) / Albertus De Graaf (Rouge, blanc, bleu) - entr. Albert Kaiser (ALL) SUISSE : Henri Suter (Rouge, croix blanche) - entr. Paul Suter / Hans Gilgen (Bleu banc noir parement rouge croix blanche) - entr. Raymond Massicot (FRA) / remplaçant : Adolf Laueppi ESPAGNE : Cebrian Ferrer (Rouge, jaune, violet) - entr. Joseph Paillard (FRA) HONGRIE: Bela Szekeres () entr. ... ...
Deux séries qualifiant chacune 3 hommes et une finale à 6
1ère série (220 tours) - Dimanche 13 Août - 14 h 30
Charles Lacquehay (FRA) - entr. Marcel Besson - les 100 km en 1 h 23' 3" 3/5 (moy. 72.289 km/h)
Erich Moeller (ALL) - entr. Clarence Carman (E.U.A.) - à 6 t
Henri Suter (CH) - entr. Paul Suter - à 8 t
Emile Thollembeek (BEL) - entr. Henri Saugé (FRA) - à 8 t 1/2
Ardito "Arturo" Bresciani (ITA) - entr. Félicien Van
Ingelghem (BEL) - à 9t
N.C. : Cebrian Ferrer (ESP) - entr. - Ab. / Albertus De Graaf (P-B) - entr. Albert Kaiser (ALL)
La course : alignés au départ dans l'ordre Moeller / Ferrer / Suter / Bresciani / Lacquehay / De Graaf / Tollembeek.
Moeller entame la manche tambour battant tandis que le retour sur la tête de Lacquehay est un moment contrarié par Suter. Après avoir légèrement "décollé" le champion français voit passer le Hollandais De Graaf et s'éloigner le champion suisse. Mais bien vite remis de cette escarmouche, il va revenir dans la course, effacer De Graaf remonté à la quatrième place, puis déposer à la suite Suter et l'Espagnol Ferrer avant de doubler Moeller au 15ème tour, après l'avoir attaqué par deux fois. Les 10 km en 8' 8" 3/5 (73.77 km/h).
Au vingtième kilomètre, il double une nouvelle fois l'Allemand, et bat en passant le record de la piste, le seul qu'il ne détenait pas encore, en 15 ' 48" 4/5.
Au 104ème tour, la grande bagarre commence pour les accessits, Moeller tente un rapproché alors que Suter et Bresciani sont à la lutte. L'Italien remporte le bras de fer mais doit céder à vingt tours de la fin alors que le Belge Thollembeek a adroitement conquis la troisième place derrière l'Allemand.
Les 80 km en 1 h 6' 1/5. Le Belge, certain d'avoir conquis la troisième place qualificative, se démobilise, quitte le rouleau de son entraîneur et se fait subtiliser sa place par Suter dans le dernier tour.
Quant à Lacquehay, il finit en trombe, reprenant deux tours à Moeller en l'espace de cinq !
2ème série (220 tours) - 16 h 30
Georges Paillard (FRA) - entr. Maurice Guérin - les 100 km en 1 h 24' 18" 3/5 (moy. 71.174 km/h)
Franco Giorgetti (ITA) - entr. Arthur Pasquier (FRA) - à 40 m
Erich Metze (ALL) - entr. Karl Saldow - à 1 t 250 m
Harry Grant (G-B) - entr. Leon Vanderstuyft (BEL) - à 1 t 350 m
Harry Grant
Henry Wynsdau (BEL) - entr. Georges Groslimond (CH) - à 3 t
Hans Gilgen (CH) - entr. Raymond Massicot (FRA) - à 6 t
N.C. : Martinus Van der Wulp(Noir, ceinture blanche) - entr. Emile Vanden Bosch (BEL) - Ab.
La course : alignés au départ dans l'ordre Gilgen / Van der Wulp / Giorgetti /Metze / Grant / Paillard / Wynsdau.
Paillard passe au sprint dès le quatrième tour tous ses adversaires. Il est en tête aux dix kilomètres, talonné par Giorgetti,
Franco Giorgetti
visiblement sur la réserve, tandis qu'entre le dixième et le trentième kilomètre, on assiste à un beau chassé-croisé entre l'Anglais Grant et l'Allemand Metze. 36.767 kilomètres ont été accomplis dans la demi-heure.
Aux quarante kilomètres, Paillard, Giorgetti, Grant sont dans le même tour.
71 km 600 dans l'heure. Metze produit alors une formidable accélération, dépassant Gilgen, Wynsdau et Grant, s'emparant de la place qualificative. Grant, qui aura accompli une course admirable, harcèlera Metze jusqu'au bout, mais en vain, car l'Allemand ne cédera pas.
Lacquehay et Paillard, vainqueurs de leur sérieEn conversation avec Linart avant la finale
Charles Lacquehay - entr. Marcel Besson - les 100 km en 1 h 20' 36" 1/5 (74.442 km/h)
Franco Giorgetti (ITA) - entr. Arthur Pasquier (FRA) - à 7 t
Erich Metze (ALL) - entr. - Karl Saldow - à 8 t
Henri Suter (CH) -entr. Paul Suter - à 9 t
N.C. : Georges Paillard (FRA) (5t de retard) - ab. au 78ème km; Erich Moeller (ALL) (11 t de retard) - ab. au 80ème km
La course : Précédée par la finale du championnat du Monde de cycle-balle, elle va se dérouler devant 35 000 spectateurs, sous un temps menaçant, le vent balayant en rafales le vélodrome.
Alignés dans l'ordre de départ : Metze / Lacquehay / Girogetti / Paillard / Moeller / Suter.
L'Allemand Metze, auteur d'un départ-canon, s'assure rapidement 50 mètres d'avance sur Lacquehay, déboulant sur le Suisse Suter au bout de deux tours ! Trois tours plus loin, Lacquehay arrive sur l'Allemand, mais celui-ci prévient son retour en se mettant un temps hors de portée. Mais au 9ème tour, le champion de France revient l'attaquer franchement, alors que Moeller, de l'arrière, déborde à son tour Suter et tente le rapproché. Devant l'échec de son attaque, Lacquehay demande à son entraîneur Besson de ralentir. On tourne à 19" au tour (86.16 km/h) depuis le début de la course.
Metze, Lacquehay, Giorgetti.
Pourtant au 14ème tour le champion d'Allemagne craquera sur un nouveau forcing de Lacquehay, qui s'empare dès lors du commandement, alors que Giorgetti et Paillard profitent de la situation pour "cueillir" l'Allemand, qui, doit aussi laisser passer son compatriote Moeller, non sans lui avoir opposé une résistance farouche, puis Suter qui revenait à son train dans la course. Les positions deviennent les suivantes : Lacquehay en tête, Giorgetti à un demi-tour et Paillard plus loin.
Aux dix kilomètres, passés en 8'10"4/5 (73.469 km/h) , Lacquehay est suivi par Giorgetti, les deux hommes passant sans coup férir Metze, puis Suter et Moeller. Avant le quinzième kilomètre, le champion parisien double une seconde fois Metze, qui a essuyé un fameux coup de pompe (mais va vite se reprendre " Ce qui est la marque des grands champions " - dixit "Toto" Grassin en tribunes - )
Après le quinzième kilomètre, Lacquehay, impitoyable, dépasse comme en se jouant Moeller, puis Paillard. Au vingtième kilomètre il est en tête devant Giorgetti avec désormais un tour d'avance sur Paillard, Moeller, Suter, Metze luttant à deux tours déjà. Au 31ème kilomètre (68ème tour), c'est au tour de Giorgetti d'être doublé. Plus personne n'est dans le tour du champion français.
Pendant vingt kilomètres - durant les quels 36, 480 km seront accomplis à la demi-heure de course - le Français va doubler et redoubler ses rivaux de sa pédalée mécanique - véritable mouvement d'horlogerie -, avant de repousser un assaut de Giorgetti avant le 50ème kilomètre, passé en 39' 44" 1/5 (75.503 km/h)
A la mi-course, le champion de France a déjà 4 tours d'avance sur l'Italien, et 5 sur Paillard, Suter et Moeller, Metze croisant lui un tour plus loin. Au 60ème kilomètre, Moeller, qui avait déjà passé Suter, voit revenir sur lui un Metze tonitruant. Pour ne rien arranger , "L'aigle du Vélodrome d'Hiver" subit à ce moment une première crevaison, alors que Paillard fait ostensiblement le jeu de Lacquehay, en facilitant ses dépassements et en contrariant ceux des autres coureurs. Aux 70 kilomètres, couverts en 56' 32" 2/5 (74.292 km/h), Giorgetti est toujours à 4 tours, Paillard et Suter un tour derrière, Metze et et Moeller un tour plus loin.
74 km 230 accomplis dans l'heure. Paillard, "décolle" soudain du rouleau et va se retirer au 78ème kilomètre, sous les huées du public. Il déclarera pour la galerie avoir abandonné une fois assuré pour Lacquehay un confortable "matelas" de quatre tours d'avance... Mais l'ex-double champion du Monde, tenant du titre, apparaît trop dépité pour que l'on croie à l'explication.
Derrière Lacquehay, intouchable, la lutte fait rage. Giorgetti, fermement accroché à sa seconde place, résiste maintenant, cinq tours derrière le Français, aux assauts rageurs de Metze, batailleur tenace et infatigable, revenu un tour derrière lui. Un Metze qui doit compter aussi avec la résistance de son compatriote Moeller, pourtant à 15 tours. Quant à Henri Suter, grand "as" routier suisse de la décade précédente, il délivre une course absolument épatante, mais à bout de résistance il doit finalement céder aux assauts de Metze.
Tous font le maximum pour "pousser" l'Italien, dont la résistance et le démarrage foudroyant auront tapé dans l'oeil du public parisien, pour lequel l'Italien aura été la révélation de l'épreuve. Les 80 kilomètres en 1 h 4' 42" (74.188 km/h).
Moeller, victime d'une seconde crevaison, visiblement éprouvé et démoralisé, abandonne au 84ème kilomètre.
Vers la fin de course, le temps se gâte et la pluie menace. En bord de piste, Gaston Degy, le manager de Charles Lacquehay, l'encourage à en finir au plus vite. Dès lors nouvelle accélération du champion français, qui va finir en trombe et doubler et redoubler ses adversaires. A la cloche, les premières gouttes commencent à tomber. 10 secondes après le passage de la ligne d'arrivée, la pluie faisait son apparition.
Après la course, interrogé par les journalistes Franco Giorgetti, déclarera : "Quel homme ce Lacquehay ! Il n'y avait rien à faire contre lui. Je voulais la seconde place, je me suis accroché et je l'ai eu ! Dommage que, sur les conseils de mon entraîneur, j'ai adopté un braquet trop "court" (28 x 6) " Venu en Europe pour éventuellement poursuivre sa carrière sur le vieux continent, le quadruple champion des Etats-Unis (1927, 1928, 1929 e 1930) y restera-t-il ?
Quant à l'Allemand Erich Metze, pour ses débuts au plus haut niveau mondial, il aura, de l'avis de tous, démontré qu'il était un grand stayer d'avenir. Il ne tardera pas à le confirmer.
Le plus vieux coureur en exercice (bientôt trente-six ans), " le rouleur de caisse à la régularité pendulaire ", a surclassé ses adversaires, écoeurant son compatriote Paillard (à quoi bon pour le champion sortant rester en selle et finir second ?) et l'Allemand Moeller (las de s'époumoner avec un braquet trop petit). Concernant ce dernier même si victime de deux crevaisons et blessé à la selle, il apparaît que l'ancien champion du Monde n'est plus le stayer impérial d'il y a trois saisons.
Quoiqu'il en soit ces deux champions sont sortis de ce championnat par la petite porte, et l'impression générale est que leur heure semble passée.
Victorieux depuis le début de la saison dans 22 des 34 courses qu'il a disputées, Charles Lacquehay a écrasé la concurrence. " Le Vélo " restitue mieux que de longs développements ce qui s'est passé ce mardi 15 Août sur la piste du Parc des Princes : " Quel admirable spectacle que de le voir, le buste immuablement
rectiligne comme un étrange et moderne centaure, les jambes montant et descendant avec une extraordinaire régularité, comme les pistons d'une machine bien réglée, tourner irrésistiblement autour de ses adversaires qui à côté de lui, paraissaient lourds, poussifs, maladroits et sans grâce ".
Champion d'Hiver, champion de France, champion du Monde.
En cette année 1933, Charles Lacquehay est sur le toit du Monde.
Sources :
l'Intransigeant Paris-Soir; l'Echo des Sports; l'Auto; le Miroir des Sports; Sporting; Le Vélo; Excelsior; Images; Tous les Sports; Rouen Gazette; Le Petit Journal; Le Petit Parisien; l'Humanité; programme officiel; Match; Sport; Cyclosport
contributions Giancarlo Gavazza, François Bonnin et Michel Dargenton;
Etude de Patrick Police, pour Stayer France, le 31 Mai 2022
Bonjour, un fait étonnent, j'ai le PV de mensuration de la piste de Rocour (Liège-Belgique) réalisé à la demande de l'UCI le 15 mai 1950. Elle mesure 454,54 mètres (mesure peu courante) exactement comme celle du Parc des Princes...