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STAYER FRANCE  :  100 % demi-fond et derny - depuis 2005 au service du demi-fond et du derny

STAYER FRANCE : 100 % demi-fond et derny - depuis 2005 au service du demi-fond et du derny

STAYER FRANCE ex-STAYER FR est le blog du demi-fond et de l'association FRANCE DEMI-FOND. adresse mèl : fddf@dbmail.com page Facebook : @VANWOORDEN21

Publié le par Oscar de Ramassage
Publié dans : #SUR LA ROUTE DES GEANTS BORDEAUX-PARIS

Claude  Larcher nous a quittés.

Il rejoint depuis Dimanche dernier son beau-père pour d'interminables tours de piste.

En sa mémoire, je remets ce sujet sorti à l'époque sur STAYER FR sur son idole, Henri Lemoine. 

HISTOIRES DE STAYERS

 HENRI LEMOINE " L'HOMME AUX PETITS POIS"

collection Claude Larcher

 « … C’était à Hyères, lors d’une course derrière dernys …. Je "lui" avais montré des photos de mon beau-père, et je "lui" avais dit : « Tu vois, le monsieur, là, c’était mon beau-père, Henri Lemoine, c’est lui qui a inventé le maillot à petit pois… »

 

 «  "Il" les a presque « foutues » par terre... "Il" les a même pas regardées… "Il" n’en avait vraiment rien à fiche… Ca m’a écoeuré… Tu crois pas que ça aurait dû l’intéresser ?… Sa popularité, et l’argent qui va avec, il les doit un peu à ça, non, au maillot à petit pois, tu crois pas ?…  Le maillot à pois a débarqué sur le Tour de France en 1975… C’est Félix Lévitan, qui était un ami d’Henri Lemoine, qui a eu l’idée d’en vêtir le meilleur grimpeur du Tour… Il avait en mémoire le maillot de Lemoine, lorsque ce dernier faisait équipe avec Guimbretière dans les Six Jours… Tu sais, on l’appelait « L’Homme aux petits pois »… C’était son invention… Ce maillot, dès Janvier 1930, il l’a rendu immensément populaire, dès sa première course, et il l’a porté toute sa carrière durant … »

Tout est parti de ces fameux pois, orange sur fond blanc … Ils m’étaient familiers bien avant que je ne connaisse leur histoire, puisque j’ai eu l’insigne honneur de courir deux saisons sous les couleurs du Vélo Club de Massy-Palaiseau, à qui, en Octobre 1948, Henri Lemoine fit don de trois de ces petits pois pour compléter le maillot bleu à bande horizontale blanche du club…. Alors, imaginez-vous que dès la création des « Fondus du demi-fond (*)  », je savais qu’inéluctablement j’allais être amené à évoquer un jour la mémoire d’Henri Lemoine …. Mais ce que je ne pouvais savoir alors, c’était que j’allais avoir à évoquer une saga : pensez donc, trente années (j’ai bien dit trente) passées sur les pistes !

Henri Lemoine est né le 17 Juin 1909 à Massy (alors département de la Seine-et- Oise, aujourd’hui Essonne), à quelques kilomètres au sud de Paris, dans une petite ferme… Ses parents sont maraîchers, dans ce petit village de campagne (si vous voyiez Massy aujourd’hui, le « village » est assez difficile à imaginer)… Cette tradition maraîchère est d’ailleurs de nos jours encore perpétuée dans ce petit coin du Hurepoix, de Saulx-Les-Chartreux à Villebon-sur-Yvette, par quelques opiniâtres « paysans- résistants » qui, vaille que vaille persistent à faire face à l’oppression d’une urbanisation tentaculaire… Fin de cette parenthèse agricole et mélancolique…

Henri Lemoine grandit au milieu de son frère aîné Maurice (qui, ceci dit en passant deviendra un bon sprinter et coureur d’américaine) et de sa sœur cadette Andrée… La gymnastique sera en fait la première discipline qu’il pratiquera, et ce dès l’âge de quinze ans… En salle, il pratique les haltères, des anneaux, des barres parallèles… Musculation, travail des abdominaux deviendront son quotidien et il en poursuivra assidûment la pratique tout au long de sa carrière de cycliste…   En fait, il sera déjà un véritable athlète quand le démon du vélo exercera  sur lui son irrésistible attrait…

Il ne révèle pas d’aptitudes particulières aux études, passe le Certificat d’Etudes et devient apprenti cordonnier dans son bon village de Massy… Un jour - il est alors âgé de dix-sept ans - il a entre ses mains une paire de chaussures cyclistes… Le vélo ne va pas tarder à transformer totalement son existence… Car cette expérience de cordonnier, elle sera mise à profit, là aussi, dans le cadre de sa pratique cycliste … Henri n’a pas son pareil pour ressemeler, concevoir ou habiller des selles, réparer des boyaux… Autant d’atouts dans l’exercice de son futur métier…

Cela vous paraîtra peut être moins anecdotique qu’il ne paraît de prime abord, quand on connaît l’important de l’assise pour un cycliste (et encore davantage pour le stayer) et lorsque l’on sait que les accidents dus à une défaillance du matériel ne sont pas rares (soit cause d’ un vice propre du matériel, soit cause d’un choix… économique)... Pleinement autodidacte, cet athlète râblé d’un mètre soixante-huit sous la toise, adopte vis à vis de son sport une approche originale et personnelle…

Il doit attendre le 3 Avril 1927 pour s’aligner dans la cinquième série du Premier Pas Dunlop. A l’arrivée, jugée sur le plateau de Satory, il gagne au sprint avec trente mètres d’avance. Il remporte encore sept victoires avant cette grande finale du Premier Pas Dunlop, où il fut battu et termina deuxième. Vint l’hiver 1927-1928. Le 20 Novembre 1927, les dirigeants du V.C.S. 14ème l’engagent à courir au Vélodrome d’Hiver de Paris… Il participe pour la première fois à la « Médaille », la prestigieuse épreuve de détection du mythique « Vél d’Hiv’ »… Il est déclaré meilleur sprinter de l’hiver après avoir gagné la grande finale de la « Médaille »,  

Dès 1928, il troque son maillot vert et rouge du V.C.S. 14ème pour un maillot bleu clair à collerette rouge, celui de la section cycliste du Stade Français. 

 Il est alors sélectionné en 1928 pour disputer l’épreuve de Tandem des Jeux Olympiques d’ Amsterdam. Il ne pourra même pas y accomplir un tour de piste ! Bris de chaine, bris de manivelle : la course vire au triste gag… Pas de chance, vraiment, car sa place alors n’était sûrement pas sur le tandem, et sur sa valeur propre, difficile de croire qu’il n’aurait pas valu le médaillé d’or de la sélection française, Roger Beaufrand… Henri Lemoine était alors le meilleur sprinter du lot, quelle pitié de l’avoir retenu pour l’épreuve du tandem !

Petit à petit, il va abandonner toute ambition de briller sur la route. Tous s’accordent à dire qu’il aurait pu devenir un super-routier… Oui, mais voilà :  à  l’époque, la piste est plus lucrative que la route, et dès lors il n’y pas à hésiter… Début Décembre il passe professionnel, en même temps que Guimbretière.  Robert Desmarets, alors encore  directeur du « Vél' d’Hiv' » va faire de lui un « pro » en vingt secondes : « Comment t’appelles-tu ? Ah oui, c’est toi, Lemoine ! Bon, tu passeras     « pro » au 1er Janvier avec Guimbretière pour équipier… ! »      

collection Claude Larcher

 Et nos compères firent ainsi leur début en Janvier 1930. Dès leur première course, le maillot blanc à pois rouge qu’ils étrennent, et qu’Henri Lemoine portera toute sa carrière, va devenir immensément populaire…

 Le 22 Janvier 1930, il part aux Etats-Unis d’Amérique pour y disputer les Six jours. Il devient le roi de l’Omnium, et se fait de suite un nom de suite dans le milieu de la piste… Sa réputation est définitivement assise un soir de Juillet 1931, au vélodrome Buffalo de Montrouge, à quelques kilomètres de son « home » Massicois.  Là, il bat le record du monde du kilomètre arrêté, jusqu’ici détenu par le phénoménal champion Suisse Oscar Egg, avec un temps de 1’13’’4/5. Son temps est prodigieux : 1’10’’4/5 ! (pour mesurer la performance, ce temps selon les spécialistes aurait équivalu à un 1’08’’3/5 sur l’anneau de bois du Vigorelli de Milan)… Cette performance situe la valeur du bonhomme à sa juste place, dans le très haut niveau. Déjà très populaire, le maillot à pois est toujours plus réclamé, sur toutes les pistes d’Europe.  

Sprinter, coureur d’américaines, de Six Jours… Le 27 Janvier 1935, il fait le saut et accompli ses débuts en demi-fond, où il rejoint entre autres son grand et inséparable copain Jean Maréchal. il va très vite devenir quelqu’un avec qui il faut compter, à une époque où les courses développent quelquefois jusqu’à 150 kms ( !) et où les « as » sont pléthore : excusez du peu : les frères Wambst , Raynaud, Paillard, Lacquehaye, Maréchal, Terreau donc, et ceci rien qu’en France !!!…

 Son visage de jeune premier (regardez les photos de l’époque, vous verrez que je n’exagère nullement), sa carrure de gymnaste plutôt que de cycliste, son approche si foncièrement originale de son métier (il utilise par exemple une selle qu’il a conçu et ouvragé lui-même, un véritable « fauteuil » selon les témoins de l’époque ; il est pionnier en matière de diététique sportive, puisqu’il fait le choix d’une alimentation à base de crudités et blé germé, bouillie de céréales avec cassonade et levure de bière, il pratique quotidiennement la gymnastique, la musculation …)

Sa collaboration étroite avec Arthur Pasquier,

Avec Arthur Pasquier - collection Claude Larcher

une légende vivante de la spécialité, la figure sympathique de son fidèle soigneur Christina « Cri-Cri », tout cela contribue à camper une « figure » à nulle autre pareille…                    

Henri Lemoine devient un personnage, dont les caricaturistes s'emparent…

collection Claude Larcher

 
 

collection Claude Larcher

 Son fameux maillot à pois, il va le troquer à sept reprises, contre celui de champion de France des stayers… En 1938, puis en 1942 (nous verrons plus loin quel prix peut avoir ce titre) En ces années-là, il livrera des joutes mémorables à Ernest Terreau et son entraineur Guérin, de ces duels inoubliables pour ceux qui ont la chance d’y assister… (l’écrivain Julien Gracq a écrit des lignes définitives  sur le sujet.) Puis, après la guerre, il trustera les titres nationaux en 1945,1950,51,52 et 1953.  

 Mais revenons en 1939… Après la « drôle de guerre », arrive la guerre tout court, en Mai 1940 : là, pas de chance, Henri Lemoine se retrouve dans l’enfer de Dunkerque, lors du pathétique réembarquement du corps expéditionnaire Britannique. Dans cette terrible bataille, Henri est blessé : il reçoit un éclat d’obus, qui lui arrache la moitié de la fesse… L’éclat est passé tout près de la colonne vertébrale… Il est ensuite fait prisonnier et se voit infliger, à l’instar de deux bons millions de ses camarades, un séjour forcé en Allemagne…

Et c’est ici qu’Andrée, sa femme, avec qui il est marié depuis le printemps 1934, va alors accomplir un exploit encore plus grand que ceux dont son mari a été jusqu’ici le pourvoyeur exclusif : elle se rend en Allemagne à vélo ( !!!) , (imaginez un peu les routes d’alors, et l’ambiance qui va avec…) munie de toutes les écharpes reçues par Henri en guise de trophées lors de ses nombreuses courses sur les pistes germaniques. Au terme de démarches multiples et incessantes, elle obtient alors d’un général allemand admirateur de son stayer de mari de le faire libérer. Et ils reviennent ensemble par le train en France !!! Si Henri Lemoine peut être considéré à bien des égards comme un personnage exceptionnel, que dire dès lors de sa femme Andrée ?  

Revenu dans son refuge massicois, il va se requinquer petit à petit. Mais il va longtemps marcher avec des cannes… et lors des alertes dues aux bombardements, de plus en plus nombreuses, il ne peut qu’enfourcher le vélo pour se rendre à l’abri… se poser sur la selle, il n’en est pas question ! Avec les bons soins de Mr Séréni, masseur-kinésithérapeute de renom, qui va le soigner puis le rééduquer, il remonte peu à peu sur le vélo, et reprend une activité physique de plus en plus intense…   Dans ces conditions, son titre de champion de France, décroché en 1942, relève du pur exploit…   

Avec Ernest Terreau - collection Claude Larcher

Mais ces épreuves ont un prix… Il va désormais devoir composer avec la douleur, lui l’athlète jusqu’à lors éclatant de santé : des crises vives de rhumatismes articulaires aigues le font affreusement souffrir, et, dans ces années de guerre, il n’est pas rare de le voir pester sur la ligne de départ, le masque douloureux et crispé, contre ces maudites crises, tant il souffre…

 Après la guerre, il poursuit pourtant sa quête, et les titres de champion  de France vont tomber les uns après les autres dans son escarcelle. Son mérite n’est alors pas mince, car il doit se « coltiner » désormais avec une nouvelle génération, celle des Lambolley (un flamboyant météore, le plus doué de tous, de l’avis de nombreux spécialistes), Chaillot, Lesueur !…                                

Il participera régulièrement aux championnats du Monde de la spécialité, mais inexplicablement, si l’on considère sa seule valeur foncière, (qui pourrait affirmer qu’il est intrinsèquement moins fort qu’un Frosio, par exemple, qui lui a été deux fois champion du monde ?), il n’y décrochera que des accessits, notamment  en 1952, où là, il ne peut qu’assister à l’éclosion du nouvel « as » de la spécialité, le Belge Adolphe Verschueren. Auparavant, il aura tout de même  gagné un magnifique championnat de France, au terme d’une joute épique avec Guy Solente…

Ce n’est nullement faire injure à sa mémoire : Henri, qui toute sa vie a vécu dans l’insouciance, n’a pas assuré ses arrières… Il a eu beaucoup d’argent entre les mains, mais son tempérament a toujours été plus celui d’une « cigale » que d’une « fourmi »… Il doit assurer la « matérielle » comme l’on disait alors, et il va dans les années cinquante continuer à « chauffer » les pistes à un âge où beaucoup auraient déjà raccroché.

 On le lui reproche, même, parfois, surtout dans la presse, qui lui fait grief de son âge, sans considérer à aucun moment son rendement, qui est toujours celui d’un athlète de haut niveau  Il poursuivra son activité jusqu’en 1957, raccrochant après un ultime tour sur la piste du Parc des Princes de Paris…

 Sa retraite ne sera pas paisible… Sa seconde vie, il l’emploie à faire du vélo dans sa chère vallée de Chevreuse, aux côtés de son fils André, (lui aussi fameux cycliste, vainqueur d’un Paris-Evreux en 1952). Il va d’abord aider à la poissonnerie tenue par sa femme Boulevard Jourdan à Paris, avant de tenir avec elle un café-restaurant sis Place Saint Charles dans le quinzième arrondissement.  Ensuite, il devient, pendant près de cinq années livreur de journaux pour les messageries parisiennes. Enfin, un jour, il veut monter sa propre entreprise et il devient artisan laveur de carreaux pendant vingt années… Il ne peut pas rester inactif. 

Le 21 septembre 1991, en son domicile de Malakoff, aux côtés de sa seconde épouse, " L'homme aux petits pois" quitte définitivement la piste de l'existence, suite à un arrêt cardiaque, consécutif à un œdème pulmonaire… 

Il restera à jamais l'un des plus grands stayers de tous les temps, ainsi qu'une  "figure" qui aura marqué son époque, et son sport.

 

Photo collection Claude Larcher

Article réalisé en 2006 par Patrick Police, pour le site internet « Les Fondus du Demi-Fond »

Merci à Claude Larcher, le beau-fils d’Henri Lemoine, et à son épouse, pour leurs témoignages et documentations.

 

 (*) dénomination du site FRANCE à sa création

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